VINNIE SAVAGE • Jack O'Connell

UN un parent, et c'est tout. Il se souvient encore de l'odeur de tabac qui entourait son père, de l'eau de cologne bon marché, du sourire moqueur constamment planté sur ses traits. De son père, Vinnie n'a plus que ces souvenirs. Le paternel est mort trop tôt pour qu'il en retienne d'autres. Ne reste plus qu'une mère dépassée par une fratrie indisciplinée. Mais à sa mère, Vinnie, il donnerait la lune si elle le demandait.  
DEUX deux ans qui ont semblé perpet'. Vinnie n'a jamais joué les enfants de chœur, mais il n'imaginait pas terminer derrière les barreaux non plus. L'insolence du mec trop sûr de lui, de celui qui croit qu'il ne risque rien. La petite frappe qui s'invente une vie de gangster, mais qui n'est pas assez rusé pour effacer les traces, échapper aux coups de filet. Il avait vingt ans, l'assurance que les emmerdes étaient toujours pour les autres. Jusqu'à ce qu'il tabasse un mec pour lui tirer sa caisse, et qu'il se fasse chopper quelques kilomètres plus loin. Deux ans pas si cher payés, mais qui lui sont restés en travers de la gorge. Il a mûri, Vinnie. Il a pas décidé d'être plus honnête en sortant, juste assez malin pour ne plus se faire coincer. Chacun sa notion de la maturité. 
TROIS sa position dans la fratrie.  Trois sur quatre, et l'intime certitude d'être le préféré du lot. Y'a que dans sa tête qu'une hiérarchie existe, mais Vinnie, il a toujours eu besoin de se savoir un peu au dessus des autres. Au fond, il sait pourtant qu'il ne se hissera jamais à la hauteur du premier, celui qui, jadis, portait le total à cinq frères Savage. Faut dire qu'Al Savage était tout sauf raté. Sale gosse au casier plus long qu'une liste de course, l'avenir devant lui. Une balle entre les deux yeux au détour du quartier, et v'la que le gosse chéri disparaît pour de bon. Vinnie qui passe troisième dans les rangs de la fratrie, et la colère qui jaillit comme un volcan.
QUATRE en dollars, ce qui lui reste comme fric à la fin du mois. Il sait pas garder son fric, Vinnie. Il accumule les dettes et les fringues de marque, et se pavane au volant d'une voiture qu'il devrait pas pouvoir s'offrir. La belle vie, ouais, mais quand vient le 26 du moins, il fait déjà grise mine en sachant qu'il pourra plus flamber très longtemps.
CINQ le nombre d'incendies qu'il a déclenché. C'est pas un pyromane, Vinnie, mais un gars pratique. Le feu ne laisse pas de traces, pas de preuves qui remontent jusqu'à lui. Alors à l'occasion, il sort son briquet et un baril d'essence, et laisse au brasier le soin de faire le sale boulot à sa place.
SIX les soirs par semaine qu'il termine au bar. N'importe lequel, pourvu qu'il ait l'ivresse. Strip club ou bar irlandais, Vinnie enchaîne les verres et liquide son salaire comme si l'argent lui brûlait les mains. L'alcool qui coule à flot, qui fait oublier les soucis et les responsabilités. Le dimanche, il s'accorde une pause. Le seigneur s'est fait oublier le septième jour, lui aussi.
SEPT les bras, les cuisses, le dos... Sept tatouages disséminés un peu partout. Et puis le plus emblématique, celui qu'il arbore comme une fierté, comme un putain de paon qui se sent plus pisser. Celui de son gang, les Night Walkers. Au final, y'a que celui de AoS qu'il regrette de s'être fait tatouer. 
HUIT huit, comme le nombre de fois où il a rendu visite à son père au cimetière. Il adorait le paternel, Vinnie, mais quand il est sorti de sa vie, ça a été fini. Le sentiment d'injustice, d'abandon... Il raconte qu'il a pas le temps, que c'est rien qu'une pierre tombale, que seul l'écho d'un silence abyssale lui revient au visage... Mais Vinnie, en vrai, s'interdit d'y penser.
NEUF son record de matchs gagnés sur KO. Vinnie a la hargne, la rage de faire mal et d'en finir au plus vite. Quand il frappe, il vise juste. Et a la satisfaction de voir les adversaires partir rapidement au tapis. Parfois, ils y restent. Neuf fois d'affilés, les types ont attendu plusieurs minutes avant de se relever. Et Vinnie de se pavaner ensuite comme s'il était le caïd du quartier.
DIX en moyenne, le nombre de clopes qui passent entre ses doigts chaque jour. Les poumons à moitié tapissés de goudron, il a l'addiction sévère à la cancerette. Philosophe, il se dit que si c'est la clope qui vient à le tuer, c'est qu'il aura échappé au reste. Une fin moins terrible que d'autres, en définitive...