(1.) Toujours cette petite pression au niveau du cœur au moment de lever le pied et le glisser sous les draps. Mince couverture qui drape le vide sous son corps. Histoires terrifiantes qui grouillent dans son cerveau, sans jamais faire taire les voix. Le monstre sous son lit, ou dans son placard a longtemps été une masse tordue, défigurée. Puis, devient les amants d’une femme qui cherchait délicatesse dans l’étau de violence que lui offrait son mari. Puis, devient personnellement les états d’âmes de son passé. De ses secrets, de ses misères. Angoisse d’une vie, plongée dans une paralysie du sommeil où les ombres s’échappent et se forment des mêmes provenances.
(2.) Elle veut s’appartenir l’univers. L’embellir sans pour autant le changer. Grisailler le ciel bleu, le montrer à sa manière. Offrir des visages humanoïdes aux oiseaux qui se calent à sa fenêtre. Vivre dans un nouvel univers, tout en continuant d’étouffer dans sa souffrance. Lancer une canne de peinture contre une voiture, glisser un feutre contre un mur, le plomb contre le sol. Marre de se limiter à une feuille blanche, un petit calepin secret caché sous le matelas. Passion interdite. Elle ne peut rêver et espérer vivre dans un monde meilleur. S’ils s’avaient à quel point elle voudrait l’enlaidir pour qu’il soit finalement bien représentatif de ce qu’il a à offrir.
(3.) Une télévision vieille comme le monde, sans la possibilité de changer de chaine. Possibilité de l’ouvrir seulement en soirée, lorsqu’elle était abandonnée à elle-seule dans le salon. Alors que la vie s’étouffait derrière elle. Parce qu’on voulait dissimuler les sons, cacher les larmes. Ça été ton seul contact avec la technologie, pour dissimuler quelque chose de mal. Une femme qui se donnait corps et âme au nom de son mari. Elle n’a jamais détenu un téléphone portable ou toucher à un ordinateur portable. Au mieux, elle regardait par la fenêtre ou fourrait son nez là où elle ne devait pas. Même si elle est en âge de la modernité, elle est restée coincée 40 ans derrière.
(4.) Parce qu’elle n’est pas parvenue à lui apprendre mieux. Qu’elle lui a pris la main et a fermé la porte derrière elle. Le secret d’une mère à sa fille unique, les yeux roulant derrière une épaisse couche de larmes qui ne voulurent jamais couler. L’atout de Meth, c’est son épiderme aussi fragile qu’une poupée de porcelaine. C’est son regard de biche, ses lèvres rosées. C’est son don de se maquiller et se transformer pour plaire à une plus grande variété de personnes. Dissimuler une chevelure courte de jais sous une longue chevelure de blé. C’est constamment se présenter sous le prénom Esmé, pour bien paraitre et cacher l’Amethyst droguée qui sommeil en elle. Derrière une compilation de masques qui s’effritent lentement.
(5.) Le ventre creusé, les courbes sinueuses des côtes dévoilées au grand jour, mâchoire coupante. L’anorexie l’a emprisonnée sous ses longs doigts maigres pendant de nombreuses années. Avant qu’elle ne commence à s’armer de courage et réquisitionner des morceaux de gâteaux ou des paquets de bonbons dans ses escapades en territoire propice pour la consommation. La discrétion comme atout, elle s’empiffrait contre le mur de la bâtisse jusqu’à sentir son estomac solidifié par autant de mal bouffe. Un regain de vie. Et c’est ce sentiment qu’elle tente de récupérer sous cette dent sucrée. Ce regard brillant devant une sucrerie. Devant un morceau de chocolat ou une poignée de sucre. Nouvelle saveur contre ses lèvres rouges. Clair point faible.
(6.) Meth n’a jamais mis un pied dans un établissement scolaire. Exploiter sa langue maternelle a été une tâche ardue. La compréhension du monde lui est venu sous des expériences diverses, aussi déstabilisantes les unes que les autres. Intérêt tout particulier porté vers les bouquins qu’elle parvient à s’approprier et dissimuler du mieux qu’elle peut. Il est parfois dangereux de renseigner et d’admettre l’intelligence d’une prostituée aussi jeune et aussi innocente qu’elle. Mais derrière son visage sensible se cache une habitude à mordre. Mécanisme de défense derrière une muraille de peur qui ne diminue pas en hauteur. Elle espère néanmoins parvenir à attraper dans ses toiles quelqu’un digne de confiance qui saura lui apprendre à lire et peut-être même à écrire, même si ce n’est pas des acquis essentiels à son métier. Elle croit être néanmoins assez forte et consciente des divers principes de la vie pour survivre du mieux de son savoir.
(7.) Elle n’aperçoit pas la honte derrière un métier comme le sien. Bien évidemment forcé, plus que choisi. Derrière chaque once de laideur, elle tente de trouver la beauté. Plonger son regard dans l’esprit d’une nouvelle âme en peine. S’armer d’une force sans pareil lorsqu’elle doit crouler sous la violence d’une journée qui s’est mal déroulé. Derrière chaque marque dissimulée, derrière chaque regard fuyant, derrière chaque mensonge qui lui brûle le bout de la langue se cache une prestance, une volonté et une âcreté. Un amour amer, un pardon facile, une satisfaction irrégulière.
(8.) Meth n’est pas porteuse d’une vie, d’une histoire. Malgré les cicatrices discrètes des piqûres constantes, rien ne glisse et s’imprègne dans sa peau. Aucune gouttelette d’encre, malgré la fascination d’une telle preuve d’art. Aucun bijou ne transperce sa chair pour briller inlassablement sous les néons d’une salle de bain de station-service. Rien n’est là pour rester. Sauf la chaîne en argent qu’elle arbore dans son cou avec un soin particulier. Retirer avant chaque tempête pour qu’elle ne rouille pas et ne ternisse. Deux cercles de diamètres différents enlacés l’un dans l’autre. Souvenir mélancolique d’une femme morte trop tôt, accablée par la vie.
(9.) Une tristesse derrière chaque larme, même celle inconnue. Une volonté de réchauffer cet animal à quatre pattes qui piétine le quotidien sous ses articulations molasses. Une empathie sans limite pour toute douleur, pour tout abandon. Un cœur trop grand pour ce qu’elle peut offrir. Un bout de pain, une pièce de monnaie perdue, une main tendue. Alors qu’elle devrait être la première à quémander un peu de soins, de protections, d’attention. Mais il est difficile d’ouvrir la porte sur son monde, de vraiment toucher ses faiblesses dissimulées et lui venir en aide.
(10.) Si ses esprits ne sont pas noyés par des substances illicites : Meth s’arme d’une multitude de précautions pour ne pas revivre un enfer comme le sien. Pour ne pas donner lentement et discrètement un droit à la vie, pour qu’il soit arracher par la suite. Pour ne pas se refermer sur elle-même, dans la noirceur et vomir sur une décision si douloureuse. Le corps déjà saccagés par tant de clients, elle a encore sur la conscience le retrait rapide de ce fœtus. Elle regrette, elle culpabilise, elle ne vient pas à bout d’un choix comme celui-ci. Même en sachant amplement qu’elle n’aura jamais été apte à élever l’enfant, s’il était advenu qu’il respire l’air de ce monde ingrat.