[NYCDARE] COURS FORREST COURS

Le pas pressé, ils se hâtent vers la sortie, les hurlements des autruches au loin. Hors de question qu’un employé les attrape, après tous les efforts prodigués, ce serait idiot de ruiner l’after défi de cette manière. L’œuf chaud entre ses mains, il le cale contre lui, dans l’espoir qu’il ne glisse pas sur le sol – la première fois a déjà manqué de lui procurer une crise cardiaque, une deuxième serait le clou qui s’enfonce. Il est convenu qu’il le gardera chez lui et il songe déjà à la placer sous une lampe. Difficile pour Leith d’être silencieux aussi longtemps, sa curiosité insatiable qui loge perpétuellement au creux de lui implose : les questions fusent, tel un enfant qui a envie d’en savoir plus. Son sourire s’efface peu à peu en remarquant la moue sérieuse de Gaby, il se demande s’il a dit quelque chose de mal, avant qu’il ne comprenne. Sa réponse le laisse perplexe, il assimile les informations, les décortique, son faciès muni d’un air interrogateur. Puis, il est tenté d’aborder une expression offusquée. Il comptait l’éliminer ! Oh. Tu l’as pas fait. C’est sympa. Et c’est sincère, ce qu’il dit. En réalité, c’est juste normal qu’il n’ait pas tenté de l’éjecter de ce défi, mais il ne s’en rend pas compte. Tout de même légèrement inquiet que son ami soit aussi peu enjoué, il se perd dans ses réflexions, l’envie d’en savoir plus le saisissant. D’autres explications lui parviennent et il capte complètement. Il se tait, cherchant les bons mots, ne sachant pas vraiment si Gaby a réellement besoin qu’on le conseille. Tu sais… à vouloir plaire aux autres, tu vas en être sévèrement fatigué un jour, commence-t-il enfin, hésitant. C’est ta vie. Pas celle de Nana ou de Byul-Li. Je sais qu’elles te sont importantes, que sans elles, tu te dis que tu es rien. Enfin, ça se trouve c’est pas du tout le cas et c’moi qui m’trompe sur toute la ligne à faire le poète. Mais voilà, pense à toi aussi. Tu as subi le kidnapping de ta sœur, tu as aidé Marla, tu m’as aidé moi quand j’allais mal… est-ce que tu devrais pas mettre tout ça sur pause et juste… te consacrer à ce que toi tu voudrais ? Finalement, il ajoute rien d’autre, la peur de blesser bien trop présente.

Il va en être sévèrement fatigué Gaby ?
Il ricane à cette phrase de Leith, il baisse son regard, les mains dans les poches de sa veste. Il hausse les épaules pour redresser son sac. Leith ne le connaît pas encore assez pour savoir ça, mais il va vite savoir que Gaby est fatigué de tout en général. Il a ce petit sourire et il n’interrompt pas ce jeune homme qui essaye de lui donner un conseil, à sa manière et un peu maladroitement. Gaby ne répond pas tout de suite, qu’ils sont en train de marcher le long de la rue jusqu’à sa voiture. Il sort les clefs. « Tu sais, si je me consacre à faire ce que je voudrais faire, je serai en lutte continuel contre tout le monde. Même contre ma soeur et à force de faire ce que je veux, je serai toujours face à cette triste réalité: être seul. Au début, ça m’allait, la solitude n’allait pas être si terrible que ça si j’arrive à la surmonter. Mais au fur et à mesure, elle est étouffante. Et je suis fatigué de tout ça. » Fatigué d’être seul, fatigué de devoir penser à passer le reste de sa vie à être en lutte contre tout le monde et surtout devoir gérer les conséquences de son égoïsme. Le kidnapping de sa soeur en est la preuve malheureusement. La preuve de son égoïsme et de son investissement personnel: cela a tout remis en question. Quoiqu’il en soit, pour Nana, il restera le frère, et Byul-Li, il n’aura pas peur de dire que c’est la femme de sa vie et que mine de rien, elles sont ses fondations solides. « Je te ramène ? » demande-t-il en désignant sa belle voiture, malgré sa jambe boiteuse, il se permet quand même de conduire Gaby.

L’œuf positionné sagement contre son torse, les bras l’entourant comme s’il emportait avec lui un trésor précieux et fragile, son sourire s’est volatilisé pour une moue. Il ne comprend définitivement pas le raisonnement des riches, car pour lui, ce qu’est en train d’expliquer Gaby, lui donne cette impression désagréable qu’il est encagé. Encagé avec ses responsabilités, en tant qu’homme et frère qui se doit être parfait. Il ne peut pas entreprendre ce qu’il veut, ne peut pas contredire les gens, tout simplement parce qu’il serait seul en fin de compte. Mais n’est-ce pas terriblement triste, de s’imaginer une fin solitaire ? Lorsqu’on aime quelqu’un, n’accepte-t-on pas ses défauts et ses débats ? Perturbé, il reste silencieux, suivant le grand qui enchaîne. Je comprends où tu veux en venir, même si je suis pas forcément d’accord avec toi. Il se tait un instant, se mordillant la lèvre. Mais on est très différents tous les deux après tout. Un mince sourire maladroit se dresse sur son visage, puis il se rend compte qu’ils se sont arrêtés. Ses iris s’arrêtent sur la jolie voiture et à sa proposition, il retrouve sa mine enjouée, hochant doucement la tête. Oui, pourquoi pas ! Et sur ces mots, il s’engouffre dans l’automobile qui coûte bien plus cher que sa propre vie. Le Saint-Graal entre ses doigts, il vient à peine de réaliser qu’ils ont vraiment volé un œuf. Un putain d’œuf d’autruche, ouais.