MIGHT & REAL •• MULLET BIATCH

J’suis avachi en bas de canapé, c’est-à-dire sur la carpète car je me suis échoué comme une merde dans une tentative de roulade pour me gratter le dos. Oui, je ne suis qu’un cloporte. « Ebooooooo ? » je gueule pour qu’elle m’entende par-dessus sa musique, ou ses chants j’sais plus ce qui est le plus fort à ce stade. Les yeux rivés sur mon écran j’réponds à Mila qu’on a de la bonne vodka. Du moins dans mes souvenirs y en avait encore. « Mila se pointe. » J’sais pas si elle va m’avoir entendu parce que j’ai pas gueulé cette fois. Je gémis un coup, parce que j’aimerais bien me relever mais j’ai tellement la flemme c’est grave pas faisable. Du coup je gueule une nouvelle fois. « TEUUUF ! » j’crois que j’ai failli péter mes cordes vocales, ma voix est partie en couilles. Dans un soupir, las, je rallume le péco qui s’est éteint pour le terminer. Puis j’en roule un deuxième que j’entame dans la foulée. C’est là que Mila décide de se pointer. Eeeenfin. « Aaaah bah te voilà. Tu vas pouvoir m’apporter un verre. » J’me redresse douloureusement en me tordant le cou, le dos toujours à terre. « Oulàlà si t’es encore venue pour me pécho j’te préviens de suite les bombes atomiques c’est pas mon genre. » et je m’étale de nouveau parce que c’était déjà trop d’effort. Ouais, Mila elle est toujours au top du top tandis que moi j’suis allongé en serviette de bain sur le tapis quoi.

« I wanna hear you calling my name. Like hey mama mama hey mama mama ! », déclame l’hétaïre des nues, dans un featuring de salle bain avec Nicki Minaj – et dans une justesse laissant grandement à désirer – tout en vaporisant un cumulus de laque afin de fixer et maintenir ce chignon un peu flou et un peu bohème, dont la réalisation nécessita une bonne demie-heure, ponctuée de « putain ! » et autres « fait chier ! » d’agacement. Salopette-short en jean neige à mono-bretelle, couvrant chichement un crop-top couleur charbon aux allures de brassière, drapant le buste jusqu’à la dernière rangée de cotes ; la perle des fanges de Mombasa, en ayant terminé avec l’épreuve capillaire, passe à la case maquillage. Le tout en s’attaquant – ou plutôt saccageant – dans une diction en yaourt, au second couplet agrémenté de quelques oscillations des hanches rappelant vaguement celles d’un pendule. Pas mécontent de lui percer et vriller les tympans, la voix de fausset de la diva comatant à même la moquette du salon, arrache à la guerrière Massai déracinée un soubresaut. « Un jour je vais le museler et l’équiper d’un collier électrique télécommandé ; il va rien comprendre à ce qui lui arrive ! », songe-t-elle en broyant l’intérieur de ses joues à l’aide de ses molaires. La surprise parasite la minutieuse application de l’eye-liner, qui se meut en une traînée opaque caractéristique de Cléopâtre et remontant en direction de la tempe pralinée. Mâchoire serrée, paupières closes et profond soupir d’exaspération, celle qui a fait le tour de la terre plus de fois qu’elle ne saurait le dire, coupe la musique s’échappant du haut parleur du smartphone, trônant dans un équilibre précaire sur le rebord de la vasque du lavabo. Armée d’un coton imbibé de démaquillant, l’odalisque vérolée nettoie les dégâts maculant son œil de panthère et reprend sa mise en beauté, après avoir mis au rebut le petit carré ouaté. Le résultat jugé satisfaisant et deux nuages de « Hypnotic Poison » de Dior déposés entre la poitrine et sur le derme chocolaté au creux du cou plus tard ; l’amazone kényane range son téléphone dans l’une des poches arrières de sa salopette et chausse les sandales à talon compensé bleues électriques dormant devant la porte de « l’appartement des bains », pour le dire à la façon Business Class. Des petites merveilles estivales - choisies après maintes hésitations une bonne heure auparavant - seyant à ravir avec la météo de ces derniers jours, et dont l’inspiration n’est pas sans rappeler celles des Zoris des Geishas japonaises. La tête dans les nuages et tutoyant ainsi le mètre quatre-vingt dix, le Reine de Saba traverse le microscopique couloir menant au salon, d’une démarche chaloupée et ondulante façon Beyonce dans le clip de « Crazy in Love ». « Alors qu’avons nous là. Un Titanic échoué et … et la plus belle des sirènes peuplant cet océan urbain new-yorkais. Non, pas toi Jab’ ! », ponctue-t-elle de son timbre velouté de contre-alto, en présentant la paume de sa dextre à la carpette lui servant de colocataire allongée au pied du canapé, afin de couper court à tout malentendu et quiproquo de sa part. Un bras passé autour des ravissantes épaules de la plantureuse invitée du soir, l’afro-américaine se penche et lui claque une bise, en prenant grand soin de ne pas toucher sa joue afin d’éviter les transferts de make-up malencontreux. Petite mais chaleureuse accolade donnée, le diamant noir se redresse et replace derrière l’oreille de son amie, dans un sourire ivoirin, une mèche de cheveux taquinant ses orbes d’andalousite. Bien qu’occis et perclus de fatigue après être rentrée il n’y a pas trois heures de Kuala-Lumpur : elle savait Iman. Elle savait qu’en compagnie de ces deux mirifiques joyaux ; la soirée ne pouvait que s’annoncer sous les meilleures auspices.