It's all about escape (ft. Baby)

Près d'un mois que le Suédois s'était installé à la Grande Pomme dans l'espoir de mener une nouvelle vie loin des tourments, de reprendre un nouveau départ qui ressemblait dans son esprit à une grande bouffée d'air, l'oxygène indispensable après cette trop longue apnée, et il s'y faisait doucement, à cette ville bien plus grande que la sienne, plus impressionnante, à tous ces gens trop agités. Il s'y faisait, mais forcé était de constater que l'anxiété était encore bien trop présente, le prenant aux tripes au point de lui en retourner l'estomac, lui donnant à nouveau ce sentiment de suffocation qu'il peinait à gérer autrement qu'en ingurgitant des doses parfois considérables d’anxiolytiques. Et ce soir ne dérogeait malheureusement pas à la règle. Malgré une bonne soirée en compagnie de Chani, sa colocataire depuis quelques jours, les ombres étaient revenues planer sur lui à peine avait-il passé le pas de la porte de sa chambre. Il l'avait pourtant aménagée de manière à s'y sentir bien, entre les nombreuses plantes d'intérieur -possiblement trop nombreuses pour une personne lambda- disposées çà et là, les instruments de musique, et d'autres éléments tous bien à leur place respective. Mais ça n'avait pas suffit, pas ce soir, le besoin de prendre vraiment l'air bien trop viscéral.

Et maintenant il était là, à l'intérieur du jardin botanique de la ville, en toute illégalité, comme il avait régulièrement l'habitude de le faire à Stockholm. D'aussi loin qu'il s'en rappelait, ç'avait toujours été l'endroit où il se sentait le mieux, le plus apaisé lorsque tout devenait trop instable. C'est donc tout naturellement qu'il en était revenu à ce fonctionnement, même ici. Dans la lune, cependant, il n'avait pas vu le veilleur de nuit immédiatement, forcé de détaler au plus vite, de trouver un endroit où se planquer. L'instant d'après il repassait par dessus le grillage. Mauvaise visualisation des distances, mauvaise réception, le tatoué se rétamait au sol, mains écorchées sur le bitume. Et ses bras qui étaient tout aussi douloureux, probablement dû aux plantes épineuses par lesquelles il avait dû traverser pour escalader la barrière. « Putain » qu'il marmonnait entre ses dents dans sa langue natale, lui qui, pourtant, ne jurait que rarement. Et il restait là, n'osant pas bouger de peur de se faire entendre, son genou gauche visiblement capricieux également.

@Baby Rolz

Si l’enfer avait une date fétiche, c’était bien celle-là. Il est des jours où rien ne se déroulait comme on le prévoyait, d’une fuite d’eau bénigne à la bouteille de lait vide rangée dans le réfrigérateur, des détails qui soulignaient combien la journée s’avérerait tout aussi imprévisible que potentiellement désagréable, cependant, la soudaine panne de cafetière et la tartine de confiture tombée à l’envers n’avait pas suffit à alarmer ses sens. Les éléments s’étaient additionnés les uns aux autres au gré des heures, telle une prévention à laquelle il n’avait pas prêté la moindre attention et pourtant, il aurait dû. Chaque tentatives de vivre ce jour commun aux autres avaient été un véritable échec, d’abord poussé du lit ce matin par des enfants trop peu délicat, le réveil qui, mystérieusement, n’avait pas sonné et cette voiture en fuite après être entrée en collision avec la sienne, l’univers lui-même semblait accorder les événements calamiteux dans le but d’une mise en garde instinctive dont lui, visiblement se fichait ouvertement. Il lui fallait se retrouver au coeur du drame, les poumons oppressés par un manque certain d’oxygène, à courir vivement pour sauver sa vie afin qu’il réalise combien il aurait dû écouter les forces sages de la nature, celles qui, depuis ce début de matinée, tentait vainement de lui soumettre un message silencieux.

Criblée de balles, sa voiture démarrait en trombe et là, assit derrière le volant, il savait que ses talents de conducteur le mènerait vers une issue, pourtant difficile de comprendre comment la situation avait pu prendre une telle tournure. Un délinquant blessé à l’arme blanche, un cœur trop fragile, plus aucun pouls et des amis assoiffés de justice qui s’en prenaient injustement à celui qui avait tenté de le ramener parmi les vivants, sans aucun résultat concluant. La malédiction aurait pu s’achever à l’instant même où il avait semé ses bourreaux mais ça n’était pas assez, ça ne l’était jamais et le sortilège s’acharnait à lui compliquer davantage l’existence. Alors qu’il songeait à rentrer chez lui, un pneu cédait au contact d’un débris sur le bitume, le pas lourd sur la pédale de frein, l’argentin ne bronchait pas et ce, malgré les multiples raisons qui auraient pu l’y pousser. Garé au bord du trottoir, la roue fraichement changée, les nerfs mis à rude épreuve, il s’apprêtait à repartir lorsqu’à peine la main sur la poignée, le fracas d’un choc sourd l’alertait et le poussait à la réflexion intensive. T’as rien entendu, t’as rien entendu, t’as rien… fais chier, putain, un soupir las et il approchait de cette source d’interrogation, s’abandonnant à la curiosité décisionnaire de ses actes. Là, intégré au schéma nocturne, à même le sol, quelqu’un semblait s’être blessé après une chute maladroite, du moins, c’est ce qu’il déduisait du décor qui lui, ne laissait pas grande place à l’imagination. L’instinct de médecin empiétait sur le désir profond de retrouver sa famille et conduisait à réduire la distance qui le séparait de cet inconnu, ❝-on dirait bien que j’tombe à pique❞ déclarait-il, accroupi près de son vis à vis, examinant d’un oeil attentif les dommages causés, ❝-qu’est-ce qui s’est passé ?❞.

@Sören P. Sandström

Si l'état de ses avant bras douloureux ne le préoccupaient pas tant que cela, à l'instar de son genou, ses mains en revanche l'inquiétaient bien plus. Il pouvait clairement sentir les gravillons qui lacéraient sa peau, et l'idée de ne pouvoir toucher à son violon le temps de quelques jours l'inquiétait plus que de raison. Réflexion peut-être idiote pour certain, mais il avait besoin de ne faire qu'un avec l'instrument au même titre que l'oxygène était vitale. Pas de quoi calmer sa nervosité donc, il se maudissait intérieurement de ne pas avoir été plus attentif. À force d'agir de la sorte, forcément qu'il se retrouvait dans des situations fâcheuses comme maintenant, ce n'était ni la première fois, et ne serait sans doute pas la dernière. Perdu dans ses réflexions, à essayer de définir l'état réel de ses paumes à la lumière trop peu vive des lampadaires, il se tendait en percevant le crissement de pas tout proches. Trop proches. Et un sursaut alors qu'il relevait le nez, ses iris clairs accrochant la silhouette d'un inconnu, sa voix s'élevant alors. Instinctivement il amorçait un mouvement de recul afin de d'augmenter un peu la distance entre lui et son vis-à-vis, désormais accroupit trop proche de lui.

« Je- » Un soupir, il déglutissait en avisant à nouveau ses mains. « Une mauvaise chute, je n'me suis pas réceptionné comme il fallait » expliquait-il brièvement, un léger accent perceptible dans sa voix. Et une vague de panique, celle de se faire prendre, de finir une fois encore en cellule. Souvenirs traumatiques d'un passé qu'il aspirait à laisser derrière lui. « N'appelez pas la police, s'il vous plaît... » qu'il intimait à l'autre, lui accordant un regard porteur de toute la nervosité que soulevait cette éventualité. Lui qui n'aspirait qu'à fuir les conflits pour éviter une quelconque embûche, voilà qu'il se trouvait dans cette situation délicate. Pas étonnant considérant son activité relativement illégale, mais le besoin de réellement s'apaiser avait été plus fort que la raison ce soir, Sören ne pouvait s'en prendre qu'à lui, et si ses mains n'avaient pas déjà assez morflé, sûr qu'il en serait à se bouffer les doigts, là.

@Baby Rolz

Se faufiler dans des endroits interdits d’accès, s’y prélasser des heures, laisser le temps filer jusqu’à n’en devenir qu’un détail insignifiant, un détail qui mène finalement à une course poursuite effrénée, il connaissait la situation et l’avait vécu plus jeune de nombreuses fois c’est pourquoi il n’engageait pas davantage de questions. Dans l’élan, son interlocuteur avait fait preuve d’imprudence et de maladresse, assez pour chuter et inévitablement, se blesser. D’un seul coup d’oeil, il lui était possible de déceler la superficialité des plaies, cependant, la journée qui venait de s’écouler avait remit en cause ses certitudes alors, en effet, il préférait l’affirmer d’une analyse plus appuyée. Les iris observateurs s’élevaient vers les siens lorsque son vis à vis évoquait l’appel à la police que toute personne normalement constituée aurait certainement passée, or, Baby n’était ni normal, ni même en position de pouvoir se permettre d’ameuter une quelconque patrouille, il était inutile de corser cette calamiteuse soirée plus qu’elle ne l’était déjà.

❝ —Si j’appelle les flics, ils nous embarqueront tous les deux, c’est la dernière chose dont j’ai envie ❞, qu’il rétorquait le plus simplement du monde avant de se remettre sur pieds, ❝ —je reviens, ne bougez pas ❞. Sous le poids des mots, il disparaissait dans la pénombre à peine déguisée des néons lumineux des lampadaires, rejoignant sa voiture pour en fouiller le coffre. Aussi vite qu’il était parti, l'Argentin revenait sur place armé d’une sombre mallette qu’il déposait à ses côtés lorsqu’il s’agenouillait sur le bitume. Il coinçait derrière son oreille un stylo lampe torche pour y voir plus clair, ❝ —je vais vous demander de tendre les mains ❞ demandait-il, se saisissant d’une bouteille d’alcool désinfectant et de compresses neuves, fraîchement sorties de leur emballage, ❝ —ça va être désagréable, mais pas de panique, les blessures sont superficielles, vous éviterez l’hôpital si vous facilitez les choses en ne bougeant pas ❞, évidemment, il préférait les patients dociles mais ayant déjà soigné plus d’une fois ses frères et soeurs, il était rodé à toutes formes de réactions chez semblables, ❝ —vous n’aurez qu’à me signaler quand vous êtes prêts et je commencerais par retirer les épines qui se sont logées dans vos paumes ❞.

@Sören P. Sandström

Trop nerveux, le violoniste, à l'idée que l'homme qui venait de s'approcher n'appelle la police et le mette dans une posture compliqué qu'il préférait grandement éviter, parce-qu'après tout ce qu'il s'était passé dans sa contrée natale, après ces six mois derrière les barreaux, il n'avait qu'une envie : laisser ces souvenirs derrière lui, surtout éviter de s'en créer des similaires ici. Alors, lorsque l'inconnu affirmait qu'il n'appellerait pas les forces de l'ordre, Sören ne put retenir un discret sourire reconnaissant bien qu'une part de lui s'inquiétait de cette histoire de les embarquer tous les deux. Mais s'il ne faisait pas de vagues, l'autre n'aurait aucune raison de s'en prendre à lui, pas vrai ? Anxieux malgré tout, il déglutissait lorsque l'homme affirmait qu'il revenait en lui intimant de ne pas bouger, son esprit à l'imagination trop fertile se faisant déjà mille scénarios tous plus catastrophiques les uns que les autres. Temps d'attente durant lequel il avait essayé d'aviser ses mains ensanglantées, méditant déjà sur la difficulté à venir pour jouer du violon, incapacité qui, bien que temporaire, lui serrait déjà le cœur. Comment pourrait-il seulement s'en passer ne serait-ce que quelques jours ? Réflexion stoppée nette lorsque son homologue revint muni d'une mallette qui ne le rassurait pas le moins du monde.

Les prunelles agitées, il déglutissait à sa demande, tendant docilement ses mains rendues malgré tout légèrement tremblantes. Et alors il les vit, les compresses, le désinfectant, se détendant un peu bien que l'angoisse restait bien ancrée, comme toujours. Hochant la tête à ses paroles, trop troublé pour faire le tri dans ses réflexions qui s'agitaient bien trop rapidement, il inspirait lorsque son sauveur improvisé lui disait de préciser lorsqu'il serait prêt. Retirer les épines, le soigner, il ne s'agissait réellement que de cela alors ? Un brin trop naïf, il avait envie de le croire, le Suédois et de toute façon, avec son genou qui avait encaissé un sale coup, il ne pourrait pas courir bien vite si l'envie le prenait de fuir. « C'est bon... je suis prêt » indiquait-il alors, essayant de contrôler ses tremblements, son regard n'ayant de cesse de vagabonder nerveusement entre le visage de l'autre, ses mains, les ustensiles qu'il y tenait. « J'n'ai pas beaucoup d'argent... » qu'il disait, persuadé que chaque service rendu nécessitait un paiement, parce-que beaucoup de monde ne se contentait plus d'un simple remerciement et que, peut-être, mieux valait le prévenir de ce fait avant qu'il se mette en tête de le dépouiller.

@Baby Rolz