Don't wanna be a monster among men (ft. Clark)

Tu ne t'en sortiras pas, seul là-bas, Sören, ç'avaient été là les mots de son père lorsque le tatoué avait émis l'idée de partir du pays, plus encore qu'une simple envie, c'était un réel besoin qui s'était fait de plus en plus présent, vital, et malgré son appréhension à perdre ses repères, ceux-ci étaient devenus bien trop néfastes, trop liés à de mauvais souvenirs, pour qu'il arrive encore à rester dans sa contrée natale. Éloignement nécessaire, aussi indispensable que l'oxygène alors, après une bonne année et demie de suffocation, Sören était parti, la boule au ventre, mais gorgé d'espoir à l'idée de repartir à zéro, de laisser derrière lui ce monstre intérieur, les traumatismes et tous ces souvenirs trop lourds à porter. Pourtant, force était de se rendre à l'évidence que son géniteur n'était pas complètement dans le faux : s'il avait réussi à se trouver un emploi et maintenant un appartement en colocation -tant pour ne pas être complètement isolé que pour partager un loyer-, son anxiété naturelle était toujours bien présente, accentuée par tous ces recoins inconnus qui l'entouraient. Trop de nouveaux paysages, de nouveaux visages, et lui qui se sentait complètement noyé dans cet amas de masse humaine au sein de laquelle il se sentait tout petit, encore plus isolé, l'impression d'être en décalage avec le reste du monde d'avantage présente. Raison pour laquelle le musicien avait décidé de trouver un psychiatre ici, sous les conseils également du thérapeute qui assurait son suivi en Suède. Il n'affectionnait pour pas le moins du monde d'avoir à s'ouvrir de la sorte, mais peut-être était-ce la seule solution pour qu'il puisse repartir d'un bon pied ici, peut-être même était-ce une nécessité, une obligation à laquelle il ne pouvait échapper.

Alors, rendez-vous pris, le jour J était arrivé, ses opportunité de faire machine arrière de plus en plus amoindries. Bien sûr qu'il pouvait toujours annuler à la dernière minute, ne pas se présenter, même prendre ses jambes à son cou une fois qu'il se trouverait dans la salle d'attente, mais une part de lui savait qu'il n'avait pas vraiment le choix, qu'il lui faudrait prendre son courage à deux mains et affronter cette situation. Il avait eu sa mère au téléphone la veille, Sören, et celle-ci, d'une bienveillance sans limites, l'avait rassuré du mieux possible, lui affirmant que tout irait bien, qu'avoir un premier rendez-vous ne l'engageait en rien si, au final, les choses se passaient mal ou que le courant avec ce fameux psychiatre ne passait pas. Alors, fort de ces mots plein de soutien, il avait grimpé dans ce bus qui le mènerait au cabinet du Docteur Lewis, bien incapable de s'engouffrer dans un métro considérant sa claustrophobie, hors de question même de ne serait-ce qu'y songer, et tant pis si le trajet était plus long. Bien qu'il avait décidé de ne pas mettre son casque sur les oreilles afin d'être au maximum attentif à l'arrêt, il avait tout de même manqué de rater ce dernier. Trop facilement dissipé, dans la lune, comme toujours. Extirpé du véhicule à la dernière seconde, le châtain avait reporté ses iris émeraudes sur l'écran de son téléphone afin de suivre le plan qui y était affiché. Zieuter l'application, faire attention aux rues, aux voitures, aux piétons, aux cyclistes, une tonne de facteurs qui eurent au moins le mérite de le libérer de l'anxiété de ce rendez-vous à venir le temps de quelques minutes.

Lorsqu'enfin il arrivait devant la porte du cabinet, il s'arrêtait un instant, mais sur la poignée. Longues secondes durant lesquelles il s'était remis à réfléchir activement. Comment réussirait-il seulement à faire à cet inconnu le récit de sa vie ? Comment parviendrait-il à parler, entrer dans les détails, lui balancer son parcours -plutôt chaotique ces derniers temps-, lui qui peinait réellement à s'ouvrir et parler de lui ? L'anxiété revenue en trombe, l'idée de partir pour de bon semblait à nouveau bien trop douce. Ce n'est que lorsque la porte s'ouvrait directement devant son nez qu'il revenait à lui, ne réprimant pas un sursaut en reculant automatiquement pour s'éloigner de la femme qui avait ouvert, désireux de préserver son espace vital et sécuritaire. Lui accordant un bref sourire, le musicien avait profité de la porte ouverte pour entrer malgré tout. « Bonjour. Je- Sören Sandström, j'ai rendez-vous avec le docteur Lewis » qu'il annonçait à la secrétaire, le timbre un brin tendu, ses doigts agrippant nerveusement les manches de sa chemise fleurie. Là, il y était, plus de retour en arrière possible. La secrétaire l'invitant à s'installer dans la salle d'attente pour patienter, il la remerciait, se dirigeant vers une chaise pour s'y installer. Ils s'agitaient sur ses cuisses, ses doigts, les tapotant dans un signe d'anxiété évident, ses dents s'attaquant à sa lèvre inférieure. Les minutes semblaient s'étirer en longueur, de quoi le tendre d'avantage encore. Peut-être que son père avait raison, après tout, peut-être qu'il n'était pas capable de se débrouiller seul, pas dans un pays aussi loin du sien, dans une ville où il ne connaissait encore rien. Et pourtant. Pourtant, cette simple pensée lui insufflait la motivation nécessaire pour rester bien assis à attendre : il prouverait à son géniteur qu'il pouvait s'en sortir.

Installé sur la chaise de cette salle d'attente, le Suédois était perdu dans ses pensées, trop nerveux, à ressasser en boucle dans sa tête un speech que l'anxiété l'empêcherait de toute façon de ressortir tel quel. Il détestait ça, cette ambiance pesante d'un cabinet de thérapeute, pourtant habitué à s'y rendre, mais il y avait de ces choses auxquelles on ne se faisait pas et, considérant son propre trouble, chaque changement était encore plus difficile à gérer, chaque source de stress décuplée. Raison pour laquelle il ne put retenir un discret sursaut lorsque son patronyme fut énoncé, le poussant à relever le nez vers son homologue, le fameux docteur Lewis. Se relevant alors, il hochait la tête, le suivant comme demandé, ses doigts crispés sur la sangle de son sac en bandoulière, signe d'une nervosité sans doute palpable pour le professionnel qui devait être habitué et alerte à la moindre réaction physique de ses patients. Le tatoué était cependant soulagé de voir qu'il ne lui tendait pas la main, rassuré de pouvoir garder son espace vital et de ne pas avoir à prendre sur lui pour établir un quelconque contact. Il la détestait, cette norme de devoir serrer la main au monde pour saluer ses semblables, préférant nettement un simple signe de la main ou un sourire, mais dans certaines situation, une telle marque de politesse était inévitable. Heureusement, le psychiatre l'en épargnait pour l'instant.

Arrivé dans le bureau, son regard clair vagabondant sur le moindre détail, il marquait un arrêt, l'attention trop instable happée par ce nouveau lieu qu'il ne connaissait pas encore. Toujours trop distrait, le musicien, bien incapable de se concentrer trop longtemps sur quelque chose qui ne faisait pas naître en lui une once de passion et, en l’occurrence, les éléments du bureau étaient pour le moment plus intéressants que l'homme en face de lui. Malgré tout, sa voix le tirait de ses rêveries, le ramenant à la réalité de l'instant et à cette évidence selon laquelle il lui faudrait parler de lui, expliquer la raison de sa venue, dire ce qu'il attendait du spécialiste. Entreprise compliquée considérant le fait qu'il n'était pas certain lui-même de ce qui l'amenait. Trop de choses et rien de concret à la fois. Sören retirait alors son manteau, le déposant avec soin sur le dossier de la chaise qui lui avait été désignée au préalable, s'y installant finalement, trop tendu. Sac déposé à ses pieds, il en gardait la sangle dans les mains, la triturant nerveusement du bout des doigts. « Hum... je n'sais pas vraiment pas où commencer » avouait-il, un léger accent perceptible dans son ton, regard s'abaissant vers ses propres mains alors que ses dents s'attaquaient à sa lèvre inférieure dans un signe de malaise qu'il ne parvenait pas à masquer.

Léger silence qui s'était installé, trop pesant selon lui, le poussant à inspirer pour puiser une once de courage et reprendre. « On m'a diagnostiqué un Asperger il y a quelques temps et je n'sais pas vraiment comment encaisser la nouvelle... je n'suis arrivé en ville qu'il y a qu'au début du mois et tous ces changements sont relativement anxiogènes, alors je... je suppose que j'ai besoin d'aide ? » Faible, sa voix, comme s'il avait peur de déranger, s'il espérait que cela suffirait à l'effacer et le rendre invisible. Et enfin il relevait le nez vers son vis-à-vis, son regard porteur de tous ses doutes, toute son incompréhension, de sa détresse, aussi. Le besoin d'aide était évident, mais comment pourrait-il trouver cette main tendue s'il ne savait même pas lui-même comment la prendre ?