MEÏZIE » DIE A LITTLE.

Y’avait ces journées de grisaille. Le ciel sombre, les nuages obscurcit de ténèbres, une brise mortelle et des éléments en catastrophe. Des passants hurlant quant au vent terrible, soulevant les cœurs. D’autres s’abritant sous un sac, en s’engouffrant, à perte d’haleine, dans les sous-sols des métros. Ceux qui ne se souciaient pas du temps : les fainéants, les arrogants, les épuisés. Crevés. À bout de nerfs. Esprit disjoncté. Ces personnes, n’ayant pas d’autres choix que de subir en fermant sa gueule. Serrant les dents, baissant les yeux. Vaincus, seuls. Face aux débris de l’existence. Les ruines d’un présent, celles à en devenir du futur. Juste avancer, la tête baissée, en espérant que la pluie ne gâche pas le travail du lendemain. Les efforts d’un bien mieux. Meï, elle était de ceux heureux. Ceux souriants à l’idée que la nature buvait à sa soif, qu’elle était heureuse. Qu’elle ne souffrira plus de l’agressivité de l’hiver. Et à cet instant, Meï eut envie de se déshabiller, de retirer ses chaussures et chaussettes, pour danser nue sous la pluie. Pour célébrer le temps, les prunelles rivées sur le ciel pleurant à froides larmes. Retour brutal à la réalité, lorsqu’une voiture pressée, glissant sur le bitume, manquait de heurter la gamine rêveuse. À un poil de cul, de croquer le sol à pleines dents. Ses envies de liberté, envolées, comme les pigeons, s’abritant sous les toits. C’était trempée, des racines jusqu’aux orteils, que Meï s’infiltrait à l’intérieur du café. Elle disparaissait, après avoir salué tout le monde, dans l’arrière-boutique. En profitant pour se sécher et enfiler sa tenue de travail, sèche, ses autres vêtements étaient étendus sur le radiateur, priant pour qu’ils soient secs à sa fin de service. Travailler ici la remplissait de joie. L’ambiance familiale, la légèreté du lieu, tout lui plaisait et soulageait son palpitant d’un poids massif, celui de la culpabilité. Lui permettant de s’aérer l’esprit, loin de son appartement, des drogues ingurgitées et des photos couvertes de larmes. Meï, elle mettait tout son cœur à l’ouvrage, réalisant des boissons réconfortantes aux client(e)s, ayant trouvé refuge à l’intérieur du café. C’était ainsi, lors de sa pause, qu’elle la vit. Mackenzie. Le teint grisaille. Les yeux dans le vide. Les ombres sous les mirettes. Les manches retroussées. Et Meï s’avançant, prenant place en face d’elle. Risette immaculée aux lippes. Le soleil après le déluge. « Le temps s’inspire de toi. » Qu’elle lançait, d’un ton délicat. Meï, elle était si douce. Si prévenante. Avec son air céleste. « J’ai la potion. » Qu’elle ajoutait, en la glissant entre ses paumes, enfermant la fiole entre ces dernières. « Je te la donne si tu me dis trois choses sur toi. » D’humeur taquine, Meï, le charme ruisselant sur ses traits.

(c) BRAINDEAD.

Tout semblait de mauvaise humeur : les étoiles, les nuages, la mer ; les gens dans la rue, les voitures qui roulent à une vitesse folle, les vélos qui déraillaient ; les enseignes clignotantes, les réverbères éteints, les quelques luminaires dans le parc ; moi. Les éléments se déchainent et moi, je suis là, statique, à entendre le vent dans mes oreilles, à fermer les yeux sous la pluie, cherchant un semblant d’humanité en vie, au fond de moi. A sentir, ressentir quelque chose qui me prouverait que je suis bien là, toujours debout. Mais rien ne semble refroidir mes os saillants, ni même les quelques muscles qui parviennent à se réveiller d’un long sommeil au front : le bruit des voitures se mélangent à celui des obus, qui sifflent dans l’air et nous laisse dans ce suspens. Qui mourra demain ?

Les yeux s’ouvrent, le monde prend forme : et la gerbe qui suit cette pensée, elle n’est pas belle. Ni agréable. Cette existence n’a pas vraiment de goût. Et je me demande combien de temps ça va mettre, pour apprécier de respirer sans que ça ne fasse mal. J’inspire. J’expire. Et je prends la route du café, comme à mon habitude. Je suis restée 3 heures ici, statique : pourtant, mes jambes n’ont aucun mal à reprendre la marche. Je mets ça sur le compte de l’habitude : les nuits sont rythmées par des insomnies, du somnambulisme et, parfois, souvent, des cauchemars. Je suppose que tout est une question d’équilibre. Col roulé noir sous veste en jean ; jean bleu brut trop grand ; et baskets sont les biens matériels que je porte quasiment au quotidien. Sûrement troué, tâché, vieux : ils m’ont accompagné un peu partout. Comme de vieux amis, un peu …

Je pose ma carcasse sur ma table habituelle, près de la fenêtre, pour observer le monde : à l’abri, je suppose. Et j’attends ma commande quand une demoiselle vient se poser face à moi. Mon visage se tourne, lentement, vers elle. Et mon visage se couvre d’un léger sourire, presque imperceptible. « Tu aurais dû être la muse du ciel. » Et les yeux se baissent une seconde, avant de reprendre leur place dans les siens. L’écoute. Observe la fiole et rigole un peu : j’avoue, je n’y avais pas cru. Mais finalement, elle était réelle. A son chantage, je pose les coudes sur la table, mon visage entre mes mains. Et je glisse, à la volée. « Que veux-tu savoir ? »

(c) BRAINDEAD.

Meï, elle avait cette aisance, celle de mettre le monde à son aise, face à son bonheur irradiant. Elle répandait de la joie, de la bonne humeur et disposait d’une multitude de cordes à tendre aux personnes le désirant. La gamine ensoleillée, adressant des mots différents, à chaque visage connu ou méconnu, parce qu’elle était friande, de ces contacts avec l’univers. Les sourires récoltés lui donnaient autant de baume au cœur, qu’une escapade sauvage au cœur de la nature. Son quartier général et son manque de voyage, avare de croquer le monde à pleines dents. Habituée à bouger de droite à gauche, déjà petite et projetée aux quatre coins du monde. Soif d’aventure, d’inconnu et pourtant... C’était bien une ville polluée et bruyante qui lui servait de cage dorée. Incapable d’en partir tant que les revenus étaient insuffisants. Cet argent, trop aisément dépenser, dans ce genre d’achats compulsifs, que l’on regrette le lendemain. Meï, elle était orientée vers les fleurs et la nourriture du monde : des placards de bouffe remplis à en exploser. Un estomac faisant la taille de l’Asie et un appétit monstrueux, si bien qu’il lui arrivait de consommer des pâtisseries à la volée. De la crème sur le nez, du cacao sur les joues, se jumelant aux grains de beauté. Une fois n’était pas coutume lorsqu’un fraisier trouvait refuge au creux de sa paume chaude. Elle trouvait également refuge à une table, déposant sa croupe sur la chaise en face de Mackenzie. Meï, elle ne la quittait pas du regard, jouant la carte de la taquinerie, pour détendre la belle sinistre. Elle se plaisait au jeu de la découverte, enivrée par l’inconnu et ces jeux de regards, qui en disaient long. « Ce que tu voudras me dire. » Qu’elle murmurait en laissant la fiole faire des mouvements circulaires lents entre ses paumes, se laissant aller au doux parfum d’une escapade en terre sauvage. Ses mirettes plongées dans les orbes de Mackenzie.

(c) BRAINDEAD.

Il n’était pas rare, pour ne pas dire habituel, que je vienne déposer ma carcasse sur cette chaise, près de cette fenêtre : comme une musique qu’on aurait trop écouter, j’aimais me rassurer d’une nuit chaotique, auprès de la vision d’un monde que je ne connais pas. Et tous les matins, la même rengaine : la même commande, les mêmes visages. Et dans la rue, aussi incroyable cela semble-t-il, je reconnaissais chaque personne, à chaque minute, de chaque instant. Ces inconnus ne le semblaient pas tant que ça. Peut-être que l’effet bocal pour poisson rouge me rassurait plus que de courir au milieu de la foule ? Quoi qu’il en soit, elle vient m’arracher à ma contemplation, à mes pensées, à ma vie quand elle pose ses fesses et son aura angélique devant moi, balayant quelques secondes la bulle grise autour de moi. Elle joue, s’amuse : je me demande, l’espace d’un instant, si c’est innocent ou bien si elle cache son jeu aussi bien que moi ? Je penche la tête d’un côté, puis de l’autre. Je me demande ce que je vais pouvoir lui dire. Ce que je vais pouvoir livrer à cette inconnue -qui l’est bien moins que ces personnes dehors. « Trois choses tu dis ? » La tête se balance à droite, à gauche. Les yeux se perdent dehors et finalement, quelque chose parvient à ses oreilles. « Je suis Australienne. » C’était un bon début, non ? Je souris en coin, pose mes yeux sur elle, rapproche ma tête de la sienne. « J’aime beaucoup les chansons de Lana Del Rey. » Et finalement, à quelques millimètres de son visage, la dernière information sort de mes lèvres, dans un murmure. « Je suis éphémère. » Et j’attrape la fiole, quand elle semble le moins concentrer dessus. Et je rigole en regardant le liquide à l’intérieur. « J’espère que tu ne veux pas simplement te débarrasser de moi. » Et un clin d’œil lui est envoyé. Avant de reprendre place au fond de mon siège. « A toi. »

(c) BRAINDEAD.

Meï, elle rivait ses prunelles des siennes, le sourire gravé aux lèvres, comme le serait des lettres sur la pierre. La fiole froide, elle, gisait entre ses phalanges nouées, voyageant parfois, d’une à l’autre, comme le ferait une personne anxieuse, sauf qu’il n’en était rien. Meï, elle était si à l’aise avec les êtres humains, qu’elle semblait intouchable, dans sa tour de plantes et de fleurs. Être aux côtés des gens, les rencontrer et s’attacher aux heureux, aux malheureux. Aux méprisés, aux bafoués. Aux malmenés, aux aimés. Et Meï, elle les aimait un peu tous, trop fort, trop intensément. Des fois, ces élans fougueux d’affection et d’amitié n’étaient pas partagés, mais qu’importe : Meï, ce n’était pas une âme que l’on pouvait blesser ou amocher, non. Meï, elle était déjà brisée, éclatée dans de milliers de morceaux, sans aucune logique ni indice pour recoller l’ensemble. L’estime envolée depuis de longues années, sûrement trop tôt, pour cette gamine qui semait des cadavres derrière elle. Des corps entrelacés, ensanglantés, sur tapis d’échec, de mortalité causée par ses conneries et ses faiblesses. L’on ne dirait pas, à son air innocent, Meï, qu’elle s’était fracassée la gueule des centaines de fois. En même temps, comment le voir ? Elle semblait si heureuse, si lisse, sans aucun défaut, la brune. Se rendant parfaite pour que l’on ne creuse pas à la petite cuillère, que l’on évite de s’attarder sur les quelques ravages du temps. L’air radieux et solaire, face à Mackenzie, qu’elle défiait de ses prunelles rieuses, ensorcelantes. En profitant pour marchander quelques informations, pour nourrir sa soif de curiosité. « J’ai aussi des origines Australiennes. » Qu’elle murmurait, d’un léger rictus, bien qu’elle ne commentait pas les autres faits, se laissant dérober la fiole de ses patounes. « La couleur serait différente, si je voulais t’éliminer. » Parce qu’il n’y avait pas que des potions délicates, certaines plantes couplées à d’autres ingrédients et tout le système immunitaire pouvait disjoncter, se foutre en l’air. Un brin de magie noire saupoudrant le tout, de ses croyances bien ancrées. « Non. » Qu’elle murmurait ensuite, en terminant sa part de gâteau, en appuyant son dos sur le dossier de la chaise. « J’ai pas d’intérêt à te livrer trois informations, pas vrai ? » Toujours taquine, Meï, à faire valser ses phalanges sur son bras dénudé, les yeux rieurs, pétillants, coincés dans ceux de Mackenzie. À celle qui challengerait le plus l’autre.

(c) BRAINDEAD.