#1 (kayla) not my family

« Ne sois pas en retard, je n’aime pas les retardataires » La mâchoire qui se serre, le téléphone tremble entre ses doigts, il ne peut pas s’empêcher de mordre en retour. Pas sa faute si cette fille l’agace plus que tout et initie un feu en lui impossible à éteindre. Son âme qu’il pense détruite, triturée par ces gens qu’il refuse obstinément d’appeler « famille » un jour, possède en réalité encore un petit quelque chose. Il suffit d’une étincelle pour raviver le tout, mais il n’en prend pas conscience, s’imaginant perdu à jamais. Après tout, quelle semaine ça a été… roué de coups à la minute où il a compris que sa liberté était hachurée, la conscience brisée à jamais par le meurtre d’un homme, ce torse qui picote toujours de cette marque qui le colle – littéralement – à la peau… ils lui ont tout pris, se dit-il, et la rage qu’il ressent envers eux est inévitable. Il les déteste, du plus profond de son âme ; c’est sûrement pour ça qu’il ne parvient pas à parler respectueusement à Kayla, une sous-cheffe aux grands airs, qui se permet de le traiter comme un moins que rien. Cependant, obligé d’accourir à ses côtés quand elle le lui demande, il s’engouffre dans un Uber, maugréant une insulte quand elle s’amuse à jouer les alarmes. Depuis cet événement, il lui est difficile de parler, réservant des monosyllabes et des grognements à ses proches, pourtant parfaitement au courant qu’il sortira de son silence d’ici peu, il sait aussi que cette fille va réussir à le sortir de ses gonds plutôt facilement… malgré lui. Seize heures trente-et-une. Il traîne son corps meurtri, douloureux au possible, grommelant en sentant le sang s’écouler faiblement d’une de ses blessures dorénavant rouvertes, au niveau d’une de ses côtes. Le voilà à misérablement boiter à une vitesse alarmante pour son état physique. L’ascenseur atteint, il rouvre son téléphone pour relire les coordonnées. Dernier étage. Finalement, il trouve l’endroit, une salle de danse. Pourquoi ça l’étonne ? Il ne prend pas le temps d’observer les alentours, la fatigue de devoir marcher alors que hier il n’y arrivait pas, déboulant enfin vers une pièce qui semble être le bureau. Tel le malpoli qu’il est, il débarque sans toquer, la respiration sifflante. Son regard s’attarde un instant sur l’horloge. Seize heures trente-six. Merde, qu’il songe, agacé. Il repère celle qui devrait être Kayla, s’approchant d’elle, ne pouvant s’empêcher de la fusiller de ses iris : elles qui paraissent vides aux yeux du monde, il lui réserve néanmoins une flamme, une haine, une rage, ces émotions encore enfouies ; qui hibernent et n’attendent que d’exploser. Sans gêne, il s’assoit sur un des sièges, soufflant de soulagement avant de ricaner. Plutôt pas mal l’endroit…

Seize heures trente six.
Voici l’heure à laquelle il vient d’arriver.

Donc ça fera six.
Il ne sait pas du tout dans quoi il s’embarque avec ce retard.

Kayla lâche un petit sourire amusée. Elle ne relève pas le regard vers Leith, qui lui, sans avoir froid aux yeux, vient de s’installer, sans demander, sans saluer, sans rien de tout ceci. Il n’a vraiment plus rien à perdre du tout, comme si la mort ne lui faisait pas peur. Elle signe un papier qu’elle range sur le côté, elle relève le regard. Les cheveux sont attaché dans une queue de cheval impeccable, elle est bien habillée pour une professeur de danse assez pauvre. Elle est assez débrouillarde pour se trouver des beaux vêtements à bon prix ((celle de certaines vies, les fouilles dans les gardes-robes de ses victimes)).

« Tu me dois six faveurs, en raison des six minutes de retard. » dit-elle en pointant l’horloge avec son stylo refermé. Elle lâche un léger sourire, elle le coince déjà, il n’en a aucune idée le pauvre, à quel point elle l’a dans le creux de la main. « C’est frustrant pour toi de ne pas pouvoir tirer les rails dans cet état-là mon pauvre. » Elle le regarde droit dans les yeux et elle repose la main qui tient le stylo sur le bureau d’un air assez sérieux. « Pendant combien de temps vas-tu tenir avant que Ace ne le remarque de lui-même ? » Le regard qui pétille, un sourire digne d’un renard malin, prêt à sauter sur sa proie qui l’intéresse.

Si il pense qu’elle va le dire à Ace, il se trompe lourdement. Elle le regarde très sérieusement quand il essaye de prendre le dessus de la conversation, elle en a déjà vu des petites frappes comme ça, ça ne lui fait pas peur et elle ne perd pas ses moyens du tout. « Ne joue pas avec moi Pépark. Tu n’en as rien à foutre de l’ambiance de la famille, parce que tu considères que tu y as été forcé. Tu avais le choix: la mort ou nous rejoindre. Tu sais qu’il est encore toujours temps de changer d’avis. » dit-elle sérieusement avant de se redresser sur son fauteuil, elle joue avec le stylo entre les doigts, d’une dextérité excellente.  « Je ne comptais pas le dire à Ace seulement, mais aussi aux chefs, pour les alerter. Tu sais ce qu’ils font aux nouvelles recrues quand ils apprennent que ce sont des camés incapables de se contrôler sur les doses ? Ceux qui disent qu’ils ont le contrôle de la situation alors que ce n’est pas le cas ? » Une pause, elle le fixe vraiment dans les yeux, pour y observer une sorte de vie dans son regard. C’est ce qui le rend intéressant, Kayla aime bien ce jeune homme, bien plus que l’autre Park. « Parce que si tu avais eu le contrôle de la situation, tu n’en serais pas là non ? »

Bah putain… T’en as des choses à dire, toi.
Kayla finit par bouger la tête et le regarde bien profondément. Au plus profond des yeux de Leith, qui montrent une telle rage, une envie de tout envoyer balader, une envie d’aller au delà des limites… Tester encore et encore, jusqu’à que ça se rompt. Il ne veut pas faire les six faveurs ? Il n’a pas envie d’être à ce bureau ? Kayla commence à pianoter des doigts sur le bureau avec ses longs ongles et elle continue à pianoter de plus en plus bruyamment. Il parle, avec une telle insolence… Couper les doigts ?

Bonne idée.

Elle n’hésite plus qu’elle réagit tout de suite, en lui donnant une grosse claque au point de le sonner et elle lui prend la main. Et elle sort du tiroir le couteau et tout de suite, elle lui coupe le petit doigt. « Les mains ne sont pas si importantes que ça sale gamin ! Crois moi. Tu ne veux pas faire les six faveurs ? Alors t’me dois les six doigts ! » Elle se met à couper le deuxième doigt, sans aucune hésitation. « tu ne veux plus marcher ? Je peux régler ça aussi rapidement hein ! » Elle bouge le couteau pour lui couper les tendons du genou. « ce serait con de ne plus pouvoir se soutenir correctement pour baiser les mecs et les nanas hein ! »

Tap tap tap tap

Elle continue de pianoter les doigts, elle regarde Leith, toujours avec un petit sourire et pourtant une minute de silence vient de se découler. Une minute où elle a pu l’imaginer en train de l’amocher et il est vrai qu’elle a son couteau, mais ce serait trop facile… La violence physique il s’en fiche. Elle se met à rire, vraiment, elle rigole.

Tap tap tap tap

Elle arrête d’un coup de pianoter les doigts et son rire aussi avant de passer à un visage impassible pour tirer son tiroir et tout de suite elle sort son arme à feu. Elle tire à côté de l’oreille de Leith, et elle tire encore une seconde fois, mais à l’autre oreille de Leith. Elle vient de tirer deux fois, près de ses oreilles, de quoi bien avoir des acouphènes. Pauvre chou. Elle range son arme et soupire avant de prendre une cigarette pour la coincer entre ses lèvres. Elle commence à fumer une fois qu’elle l’a allumée. « Alors… Tu n’as rien compris pour ce qui est de la famille. La violence ne compte pas. L’entraide compte, on est tous là l’un et pour l’autre. On pourrait couper les doigts, on s’en fiche de tes mains. Dis toi que je viens de le faire mentalement et ce n’était pas joli. Je pouvais encore couper les tendons de tes genoux, ce n’était pas mieux. Ou encore même couper ta langue ou t’arracher les dents pour que tu arrêtes de parler et dire de telle stupidité. Ne crois pas que ton frère Ace pourrait te protéger de tout ça. » Une pause et elle sourit. « Mais je ne ferai pas tout ceci parce que tu m’intéresses Pépark. En travaillant à mon service, tu éviterais d’être près des drogues et puis tu es plus libre que ça… Ton frère serait content que tu travailles à mon service, parce que comme ça tu pourrais me surveiller et lui faire des rapports pour trouver mes faiblesses. »

Tap tap tap tap. Bruit désagréable qui rythme le silence oppressant dans la pièce, la rage distord de nouveau son estomac, à lui en couper le souffle. Jamais il n’a autant détesté quelqu’un, de tout son être, de chaque parcelle de sa peau ; jamais il n’a autant souhaité la mort d’une personne. Cette fille, elle lui procure une haine animale, il suffit de jeter un coup d’œil à son regard brillant d’émotions. Pourtant, au fond de lui, parmi cette colère grondante, il y a aussi cette peur. Infime qui, pourtant, l’empêche de sauter sur elle pour la défigurer. Son cœur bat à tout rompre, plus rapidement que les maudits tapotements sur le meuble, il y a cette étincelle dans les pupilles de Kayla… il en frissonne d’horreur, ses entrailles presque douloureuses. Elle l’observe, non, elle l’examine. Silencieuse, telle une prédatrice à attendre le moindre faux-pas. Il le sait que s’il ouvre trop sa bouche, il risque tout et rien à la fois : alors, c’est cette appréhension, enfouie avec grand soin, qui le retient de la provoquer jusqu’au bout, malgré l’envie insoutenable. Soudain, ça explose : littéralement. BANG ! Ses lèvres s’entrouvrent pour laisser échapper un cri, rien ne sort. Le son est extrême, il comprend à retardement qu’elle vient de dégainer son arme pour tirer de chaque côté de ses oreilles. Sonné, les acouphènes sont terribles, l’empêchent de se concentrer, lui qui tente d’écouter ce qu’elle déblatère. Il ne peut s’empêcher de gémir, sa dignité en prenant un coup, tandis que ses mains se posent sur ses oreilles, dans l’espoir désespéré que ça diminue les sifflements aigus.

Mais-Mais ça va pas, putain ! T’es une grande malade ! qu’il hurle sans faire exprès, ne maîtrisant pas la tonalité de sa voix. Le reste de son discours assimilé miraculeusement, il se relève difficilement, le corps endolori : rien ne va, il s’en rend compte, et qu’est-ce que ça le frustre. Il se retourne vers elle vivement, tremblant d’une fureur indescriptible. La respiration saccadée, il parle d’une manière désarticulée tant il est secoué. J’en ai rien à battre de toi, tu piges ? J’compte pas m’amuser à te surveiller et à jouer les taupes, j’sais me débrouiller sans Ace d’ailleurs, alors arrête de ramener son prénom dans notre conversation ! Il s’approche d’un pas boiteux, tentant vainement de reprendre un souffle régulier, plongeant ses iris enflammées dans les siennes. Tu veux que j’sois utile ? J’vais être utile et après j’me barre, parce que ça va deux minutes de rester dans ce putain de bureau. J’connais l’adresse d’un hangar où y a un max de drogues que VOUS pourriez aller voler, de base j’étais supposé la donner au flic pour qui j’travaille, parce que j’ai fait mes recherches dessus comme un gentil petit toutou, mais étant donné que tu m’prends pour un faiblard, j’vais te la passer pour te prouver que j’suis pas sans ressources. Il se tait un instant, respirant bruyamment, puis d’un coup il lâche : Satisfaite ?