Yuri Petrovovitch Tchekov • Finn Wittrock

quelles sont tes ambitions de vie ? «Désolé ... Je connais pas ce mot ...» s'excusa doucement Yuri, jouant l'étranger incapable de parler anglais. Un petit jeu auquel Le Russe s'adonne souvent, essentiellement lorsqu'il ne veux pas répondre à une question. Son ambition n'est qu'un rêve irréalisable, il le sait, et il n'a aucune envie de partager des mots pleins de niaiseries et de banalités comme ses bimbos qui se pressent sur les podiums et clamant qu'elles rêvent de la paix de le monde. Mais il n'empêche qu'il en rêve, il rêve de pouvoir faire de la Russie un pays accueillant pour les gens comme lui, il rêve de débarrasser son pays des clichés dans lesquels il s'est entrepêtré. Il rêve de pouvoir y être Yuri, l'acteur pansexuel et libre d'exister qu'il a l'impression d'être aux États-Unis.

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souffres-tu de maladies, addictions, tics, ...? «Oui. J'ai des addictions. J'en ai même deux.» confia t-il à la journaliste, son sourire s'agrandissant face à l'air ahuri de la jeune femme. «Je suis accro à l'épilation. Je déteste avoir des poils. C'est ... Berk !» Expliqua t'il, mimant un air de dégoût qui fit rire son interlocutrice. Yuri reprit, relevant des manches pour dévoiler sa seconde addiction. «Tatouage ! Plus j'en fais, plus j'en veux ! J'ai une manchette au bras droit. Mon bras gauche et complètement tatoué. J'en ai aussi à la cheville et un petit dans le dos. C'est du ... Hm. American Old School. Je crois que c'est ça le nom. C'est la première chose que j'ai payé quand j'ai commencé à travailler aux États-Unis.»

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comment les gens te jugent-ils généralement ? «Au début, les gens pensaient que j'étais à la vie comme à l'écran. Puis ils ont compris que j'étais gentil. Je parles souvent avec des fans dans la rue et prend beaucoup de photos avec eux, ils sont très demandeurs. J'aime bien passé du temps avec les gens, ils aiment bien qu'on parlent de nos vies. La serveuse de mon café préféré m'appelle même par mon prénom.» confia t-il en riant. Yuri aime le public et le public aime Yuri. Tous se mettent d'accord pour dire, qu'à la vie, c'est un homme adorable et à l'écoute. Sa contribution financière et personnelle à l'association LGBT+ est connue de tous, le rendant plus sympathique pour les membres de la communauté et plus antipathique pour ceux qui s'étaient mis en tête de haïr cet étranger.

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œuvres-tu dans ton intérêt ou dédies-tu une partie de ta vie aux autres ? «Je fais souvent des dons aux associations, je fais officiellement parti de l'association LGBT. Je fais aussi des dons pour la recherche contre le cancer ...» confia Yuri, sa voix se brisant sur le dernier mot. «Je vais pas mentir. Je suis un peu égoïste. Je participe à des oeuvres caritatives que parce que j'ai été impacter par ces maux. Je lutte contre l'homophobie parce que je veux pouvoir vivre comme je veux. J'aide la lutte contre le cancer parce que mon père a été atteint du cancer ... Il a guéri mais je sais que c'est pas toujours le cas. Et j'ai peur que ça revienne et que ça le tue. Et je refuse que d'autres familles soient au plus mal à cause de cette maladie.»

as-tu un casier judiciaire ? «Non. J'ai jamais commis de crime.»

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quelles sont les pires et meilleures choses que tu aies faites ? «Je ne pense pas avoir déjà fait quelque chose de mal. Si ce n'est emprunté les escarpins de ma mère.», confia t-il en riant. Yuri disait vrai. Il n'avait rien commis de si terrible. C'était un enfant et un adolescent relativement sage. «La meilleure chose ... Je crois que la chose de je suis le plus fier, c'est la fois où j'ai passé la journée dans un hôpital. Avec un autre acteur, on est allé distraire les malades. J'ai beaucoup parlé avec eux, ils disaient que ça leur faisaient plaisir de voir des gens se décarcasser pour leur arracher un rire. Je me senti utile comme jamais !»

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quel est ton plus grand regret ?«Ne pas avoir dit moi même à mes parents que j'étais en parti attiré par les hommes. Mon père est très étroit d'esprit. Et je crois qu'il a été encore plus déçu de ne pas l'apprendre de ma bouche.»

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penses-tu, au fond de toi, être quelqu'un de bon pour les autres ?«Oui. J'espère. J'essaie d'être quelqu'un de bien. Je veux vendre du rêve, pas blesser les gens.» Une déclaration sincère mais qui ne s'applique pas à ses partenaires que Yuri n'a jamais ménagé, lâchement crûment des reproches et rompant parfois très sèchement. Il est avec ses amis et ses partenaires comme il est avec sa famille, et comme sa famille l'a toujours été. Il les adore, ils le savent, il leurs montre, mais il ne leur dit jamais.

Ce fut sur cette dernière question que l'interview prit fin, au plus grand soulagement de l'acteur. L'entretien avait été bref mais exténuant. Le Russe ne s'était pas attendu à devoir répondre à des questions aussi personnelles, “Ce n'est pas faute de t'avoir prévenu !”, s'exclamera son agent lorsqu'il lui en touchera un mot, ou deux. Ce fut avec un sourire poli qu'il quitta la jeune femme pour finalement rejoindre son lit. Étendu de tout son long, les yeux rivés sur le plafond, l'immigré laissa ses pensées vagabonder.

Les Tchekov avaient toujours joui d'une excellente réputation. Famille aisée, installée à Moscou depuis trois générations, a qui personne n'avait fait de reproche. Les enfants nés Tchekov avaient tous bénéficiés d'une excellente éducation. Les parents bombaient le torse et levaient le menton, prenant de haut ceux dont la progéniture n'était pas aussi irréprochable que la leurs. Leurs enfants ne pouvaient qu'être parfait ; intelligent, poli, dépourvu de tout casier judiciaire, charismatique … Personne n'avait jamais rien à redire sur les Tchekov.

Ce fut dans cet environnement que Yuri vit le jour, en automne 1985. Comme son père avant lui, Yuri fut élevé par sa mère, une brave femme qui dédia sa vie à sa famille. Il fut pourri gâté par son géniteur qui ne manquait jamais une opportunité pour couvrir sa femme et son enfant de cadeau, pensant naïvement que cela comblerait son absence. La famille ne tarda pas à s'agrandir, accueillant, au printemps 1987, Alekseï. Tout comme leurs prédécesseurs, les deux petits garçons eurent une éducation exemplaire, effectuant un parcours scolaire sans faute et enchaînant les activités périscolaires. C'est ainsi que Yuri se retrouva à apprendre l'anglais, la photographie et fut contraint d'intégrer une équipe de football. Des activités dont il se laissa bien vite. Le football c'était pas pour lui, il le savait. Lui, son truc, c'était le cinéma ! Il en était tombé amoureux et il sut bien vite que c'était ce qu'il voulait faire de sa vie. Il se souvient avec nostalgie de cette fois, alors qu'il n'avait que 9 ans, où il avait fait le mur pour se rendre au cinéma avec des amis. Son père avait piqué une crise lorsqu'il l'avait retrouvé et Yuri était persuadé que le discours grandiloquant de son géniteur sur son irresponsabilité allait le tuer d'ennui.

Enfant sociable, l'aîné des Tchekov n'eut aucun mal à s'intégrer. Adolescent populaire, il se fit une multitude d'amis au secondaire. Provocateur moqueur, pas même majeur, il a toujours prit un malin plaisir à rire de n'importe quoi et surtout, de n'importe qui, parfois même de parfait inconnus. Des petites plaisanteries sans grandes conséquences pour lui, des boutades amusantes pour certains, des railleries déplacées pour d'autres.
Adulte incapable de prendre du recul sur ses actions, toujours persuadé de n'avoir blessé personne, toujours convaincu que le secondaire était la meilleure période de sa vie et de celle de son entourage.

Son esprit fit vite fie de sa souffrance, de sa tristesse et de son incompréhension face à sa sexualité, ne voulant pas se replonger dans cette période de sa vie où il était persuadé d'être un criminel, où il craignait plus que tout d'être percé à jour et d'apporter le déshonneur et la honte sur sa famille. Il ignora également cette fichue année 1997. Une année bouleversante pour l'ensemble de la petite famille, celle qui marqua le début de la lutte du père contre le cancer. Une lutte qu'il remportera en 2000. Une lutte qui perturba grandement l'aîné. Une lutte qui inspirera le petit dernier à se lancer dans la médecine.

À la place, il se revit sortant du secondaire, diplôme en main. Il revit sa fierté lorsqu'il intégra l'École-studio MKhAT, une école d'art réputée de Moscou. Il s'y forma au métier de comédien. L'école lui permit de tourner dans quelques publicités mais très vite, Yuri comprit que la Russie ne lui apporterait pas le succès qu'il espérait. Il était persuadé que jamais il ne pourrait égaler ces acteurs qui l'avaient rendu mordu de cinéma, si il restait cloîtré ici.

Ce fut ainsi, qu'en mai 2010, poussé par ses rêves de grandeur, il persuada son père de lui payer un voyage, direction les États Unis, Los Angeles. Il se trouva un petit appartement miteux. Il vécut entre champignons et rats, enchaînant les petits rôles sans importance. Aucun regard ne semblait se poser sur lui, personne ne semblait déterminer à retenir son nom, et Yuri s'apprêtait à abandonner … Il allait raccrocher et rentrer au pays lorsqu'en 2012, on le contacta. On lui proposa de passer un casting pour un rôle de mercenaire russe, un grand gaillard, un sanguin, un brin taciturne, accro à la nicotine et à la vodka. Yuri hésita longuement. À son arrivée à L.A, il s'était juré de ne pas se conformer aux stéréotypes et celui-là semblait être le plus gras de tous. Mais il n'avait pas envie de repartir. Il ne pouvait pas échouer. C'était son rêve ! Yuri finit par accepter et tout s'enchaina.

Le tournage. Le succès de la série. SON succès. Des propositions de rôles à la pelle. Son compte en banque se remplissant. Les gens qui l'arrêtent dans la rue. Les messages pleins de fierté de son petit frère. Sa notoriété se développant à une vitesse hallucinante. Puis la lassitude. La routine. L'ennui. L'envie de changer d'air. Sa fuite vers New-York en 2015. Son aménagement à Manhattan. Son coming-out volé. Sa déception lorsqu'il constata que sa famille ne répondait plus à ses appels. Et finalement … Cette fichue interview qui l'avait poussé à reconsidérer l'intégralité de son existence.

Un long soupir empli de lassitude s'échappa de ses lèvres alors qu'il se séparait de son lit pour attraper son téléphone. Il le déverrouilla et jeta un oeil à sa messagerie. Aucun nouveau message. Mais une folle envie d'en envoyer un à son petit frère. Comme souvent, il se rendit sur leur conversation et observa ce brouillon qu'il avait enregistré voilà 3 ans déjà, sans jamais osé l'envoyer. Son doigt plana de longue minute au dessus de cette stupide touche d'envoi. Et comme toujours, il se résigna. Il n'aurait qu'à l'envoyer demain. Après tout, il n'était pas si important que ça ce message …