LUGOS WOLF • JAMES YATES

quelles sont tes ambitions de vie ? La naïveté menace de prendre le dessus sur tout le reste, encore une fois. Je suis conscient du nombre important d’yeux qui pourraient se retourner sur eux-mêmes en un geste théâtral à souhait si je venais à m’exprimer comme je songe à le faire à cet instant. Je me fiche bien du regard des autres, pour être honnête, je ne me serais jamais affirmé au quotidien si tel avait été le cas. Mes ambitions, donc ? Être heureux, pour commencer. Parvenir à mettre le doigt sur cette dose de sérénité qui me fait parfois cruellement défaut. Vivre en paix avec moi-même, mes erreurs, mes doutes et mes plus belles qualités. Prendre confiance en l’homme que je suis dès lors qu’on me retire l’uniforme de travail qui, tel un costume de comédien, me permet de me glisser dans la peau d’un autre, de fantasmer une attitude qui n’est pas toujours la mienne lorsque les projecteurs s’éteignent et que les masques tombent.

---

souffres-tu de maladies, addictions, tics, ...? Peut-on parler de stress post-traumatique pour exprimer ce mal qui me ronge de l’intérieur ? Ce monstre qui évolue lentement, en silence, gagne du terrain chaque jour et ne cessera de croitre que lorsqu’il aura tout dévoré sur son passage. J’ai été témoin de choses qui marquent profondément, qui endurcissent et aident à acquérir une maturité que n’importe quel soldat déciderait de placer au service d’une fidélité à toute épreuve envers sa profession, ses idéaux. J’ai emprunté un chemin extrêmement différent, déconstruit chacune des idées inculquées par mon paternel tout au long de mon enfance, de cette adolescence qui, telle une prophétie, servait de compte à rebours avant un engagement qui a tout bouleversé. Ôter la vie, je l’ai fait plusieurs fois par instinct de survie. Un acte barbare qui enlève la lumière et pousse d’autres proches, d’autres familles à la rébellion, à l’extrémisme contre lequel nous nous battons là-bas… Je suis parvenu à vivre avec chaque corps neutralisé, chaque menace éradiquée de cette brutalité qui nous caractérise aux yeux de cette population constamment secouée par un conflit qui n’en finit pas. Tous, sauf un… Une déflagration en deux temps. Un tir justifié, je le sais, mais que je ne me pardonnerais jamais pour autant. Comment peut-on vivre avec le meurtre d’un enfant ? Avec son sang sur les mains, labellisé terroriste ou non ? Cette anxiété qui gronde parfois plus fort pourrait aisément me mener sur cette pente dangereusement descendante qu’est l’addiction et pourtant je tiens bon… J’encaisse, j’endure et j’avance, les yeux rivés sur l’avenir plutôt que sur un passé qu’il est douloureux de considérer de la sorte.

---

comment les gens te jugent-ils généralement ? Tout dépend des personnes que vous interrogez à ce sujet. Une déception immense aux yeux d’un père qui ne sait plus me qualifier autrement que par ce délicieux terme qu’est pédale. Il n’a jamais accepté ma bisexualité, c’est un fait, mais plus encore, il n’acceptera jamais d’avoir été humilié par son fils lorsqu’il a demandé à être relevé de ses fonctions. Ma mère… Il faudrait la bousculer davantage, incapable de s’exprimer autrement qu’à travers la voix d’une figure paternelle qui fait mal, tout le temps, depuis toujours. Mon frère… Je n’en parle même pas. Il est loin, le temps où nous étions le modèle l’un de l’autre. Loin d’un cercle familial chaotique, la population afghane brossera un portrait peu élogieux de ma personne, celui d’un envahisseur censé les protéger mais qui, dans le processus, justifie toutes les horreurs et la désolation qui les guette depuis plusieurs dizaines années. Certains semblaient malgré tout m’apprécier. Eux, qui gravitaient autour de notre campement, qui répondaient présent pour nous aider, pour nous guider en terrain miné – au sens propre, comme au figuré – de leur expertise incomparable. Eux, à qui j’adressais toujours un petit mot maladroit dans leur langue originale. Eux, à qui j’offrais certaines de nos ressources pour les aider à avancer. Eux, les enfants que j’avais à cœur de protéger de cette menace, de nous, d’un conflit qui trop tôt leur arrachera leur innocence. Les new-yorkais, à nouveau, ont surement une vision extrême, qu’il s’agisse d’une image méliorative ou d’un regard péjoratif. La réputation de mon corps de métier en a pris un énorme coup ces dernières années, à juste titre. Le milieu est pourri jusqu’à la moelle, notre image embourbée par des bavures restées impunies qui font honte à l’ensemble de ces flics qui essaient d’évoluer dignement sur le terrain. Et puis mes amis, ces personnalités qui croisent mon chemin lorsque Lugos reprend le dessus sur Wolf. Eux qui valorisent mon sourire, cette lueur constamment ancrée dans un regard qui, pourtant, est passé par toutes les émotions et continue parfois de laisser filtrer au plus observateur d’entre eux une souffrance sur laquelle mettre des mots semble bien difficile. Un garçon silencieux, qui observe énormément et commente peu, au risque de trop en dire. Une perle qui s’émerveille d’un rien, croit en le meilleur d’un monde qu’il ne comprend pas toujours et tombe parfois de haut sans jamais échouer à rebondir.

---

œuvres-tu dans ton intérêt ou dédies-tu une partie de ta vie aux autres ? J’accorde trop peu d’importance à mes propres intérêts. Plus à l’aise avec un bonheur qui se dessine devant les yeux plutôt que dans le cœur. Confortable avec un essaim de sentiments qui se ressentent et s’expérimentent par procuration. La chute est un virage nettement moins délicat à considérer et remonter la pente après un tel carambolage parait beaucoup plus abordable. On vous souhaite tout le bonheur du monde, et que quelqu’un vous tende la main. Ce quelqu’un, c’est moi. Pudique, pas du genre à attirer la couverture sur soi ou à avoir besoin d’être félicité pour une bonne action, je préfère largement agir dans l’ombre. Il n’y a rien de plus important à mes yeux qu’un sourire ému, qu’un visage qui exprime des émotions vives, joyeuses et délicates. Mon cœur n’a besoin de rien, si ce n’est d’une lumière qu’il est facile d’entretenir en agissant pour les autres, en étant là pour les relever après une mauvaise chute, en se portant volontaire lorsqu’une oreille attentive est recherchée. On ne retiendra peut-être rien de moi sur la durée, si ce n’est une présence sous forme de tremplin au moment opportun, mais je retiendrais tout d’eux quand viendra mon heure. Eux qui m’apportent ce que jamais je n’arriverais à acquérir de moi-même, seule face à ma réflexion dans le miroir. Cette solitude pesante qui, non seulement isole, mais contribue à faire ressurgir des fantômes qu’il est préférable de maintenir prisonniers d’une structure confidentielle et bétonnée.

as-tu un casier judiciaire ? Casier judiciaire vierge de toute infraction susceptible de noircir ce joli tableau qu’est ma vie criminelle. Elle est inexistante et j’éprouve une certaine fierté à incarner ce flic que rien ne peut atteindre, du moins, à ce jour. On ne sait jamais de quoi demain est fait et j’ai vu tellement de mes collègues policiers ou militaires tomber dans certains travers que rien n’est jamais totalement garanti.

---

quelles sont les pires et meilleures choses que tu aies faites ? J’ai cette très mauvaise manie de toujours considérer les pires choses avant de me concentrer sur le meilleur. À croire qu’il est nettement plus aisé de sombrer dans l’obscurité qu’est cet océan d’erreurs que nous commettons au quotidien plutôt que de chercher la lumière qui réchauffe après chaque accomplissement de l’ordre du positif. Avoir laissé de côté mon frère en m’engageant à l’armée figure parmi les pires choses que j’estime avoir pu faire. Être resté là-bas toutes ces années tout en étant au courant dans les grandes lignes de sa situation me rend encore plus coupable aujourd’hui quand je m’indigne de l’état dans lequel il se trouve. Aurais-je pu faire la différence ? Je déteste ce genre de questionnements qui relèvent uniquement du masochisme, mais je n’arrive tout bonnement pas à me sortir cette rengaine de la tête. Neutraliser un enfant sur le terrain, pour ma propre survie, demeure mon plus grand échec, un traumatisme qu’il sera difficile d’exorciser sur les années de vie qu’il me reste. Là encore, je ne cesserais de me demander si d’autres solutions auraient pu être envisagées, d’autres actions… La vie n’est malheureusement jamais aussi simple que cela et personne, à ma connaissance, du moins, ne possède le pouvoir de revenir en arrière. Je ne suis pas certain que je le ferais, même si cette possibilité m’était offerte. Tel une lignée de dominos, qui sait ce qu’aurait enclenché la survie de ce garçon. Se serait-il rendu coupable du meurtre de mon équipe dans son intégralité comme il tentait de le faire avant d’être arrêté ? M’aurait-il assassiné ? Rien n’arrive par hasard, pour le meilleur et surtout pour le pire. À côté de cela, maintenir la porte du bus ou du métro ouverte le temps qu'une personne puisse arriver, porter le sac de courses d'une vieille personne, rendre service au voisinage, adresser un sourire à chaque passant que je croise... Chaque occasion d'insuffler une petite touche de bonheur est bonne à prendre et figure parmi les meilleurs actes que je pense accomplir au quotidien.

---

quel est ton plus grand regret ? Des regrets, j'aime prétendre que je n'en ai pas, que je consacre ma vie à avancer en puisant dans mes nombreux actes manqués pour évoluer différemment, plus habilement. Je pourrais néanmoins mentionner mon frère, à qui j'ai l'impression d'avoir tourné le dos. Ma vie d'homme, plus généralement, que j'ai sciemment décidé de laisser de côté tout au long de mon parcours militaire. Il était tout bonnement impossible, très difficile dans le meilleur des cas, de concilier une telle carrière. Je n'aurais jamais pu être suffisamment égoïste pour infliger cela à quelqu'un d'autre. Comment aurais-je pu concilier des missions à l'autre bout du monde et le bonheur d'un(e) partenaire qui ne méritait tout bonnement pas de passer sa vie à trembler dès que le téléphone sonnait ou qu'une personne venait sonner à la porte. J'ai le plus profond des respects à l'égard de toutes ces personnes qui parviennent à vivre avec un compagnon militaire. Je n'en serais pas capable. Bien trop attaché à la présence de l'autre, souffrant d'une distance que je ne sais pas combler correctement lorsqu'elle s'étend trop sur la durée... De l'histoire ancienne, puisqu'une autre vie s'ouvre à moi, à condition de bien vouloir me donner les moyens de rencontrer du monde.

---

penses-tu, au fond de toi, être quelqu'un de bon pour les autres ? Je ne sais pas ? Peut-être ? Peut-être pas ? Interrogez plutôt mon entourage, réservez cette question aux gens qui m’entourent quotidiennement. Que ce soit ceux qui me croisent le temps de quelques minutes, ceux qui ont l’habitude de me supporter plus longuement ou ceux avec qui j’ai tout bonnement perdu contact après un certain temps… Bref, tout le monde sauf moi. Je ne suis personne pour me prononcer sur ma propre personnalité, encore moins sur le bienfondé de mes actions. Ma seule certitude, cela étant dit, c’est d’avoir à cœur de donner le meilleur de moi-même constamment pour ne pas décevoir ou ne pas blesser. J’ignore si tout ceci est suffisant, à la fin de la journée. Je suis même incapable de vous dire si je parviens à me rapprocher ne serait-ce qu’un tout petit peu de cet objectif mais j’ai le mérite d’essayer et de persévérer.

Lugos, un prénom celtique, inspiré par la mythologie qui l’accompagne. Une référence qui me va plutôt comme un gant. Lugos, ou, « Le Lumineux ». Une divinité spécialisée dans la communication, protecteur des arts. Je ne suis peut-être pas un artiste, mais j’ouvre grand mes yeux d’enfant devant le moindre morceau de bravoure cinématographique. ⌑ Les années quatre-vingt-dix, âge d’or musical aux yeux de plusieurs générations. Des classiques à ne plus savoir quoi en faire et un garçon qui vient au monde quelques minutes, à peine, après son frère. Des jumeaux (Neji Wolf) que tout opposera assez rapidement. ⌑ Une mère qui aime pudiquement, un père très absent, héros et bourreau à la fois. Une armoire à glace à l’éducation primitive, conservatrice diront certains. Un homme qui ne demande l’avis de personne et ne s’inquiète pas de blesser les autres. Un héros aux yeux d’une Nation tout entière, le Diable en chair et en os aux prunelles de ses enfants. ⌑ Un frère que j’ai toujours tenté de protéger en usant et abusant de mon aura de fils prodige. Moi qui, contrairement à Neji, me vouais au même chemin que mon paternel, à une carrière militaire qui ferait la fierté d’un père beaucoup trop sévère et violent. Combien de coups de ceinture, de remarques acerbes, de gifles… Tout le monde a perdu le compte, avec les années. ⌑ Bisexuel affirmé, une sexualité qui a toujours été assumée, et cela depuis mon plus jeune âge. Un premier baiser échangé avec une fille et une mauvaise impression qui m’a donné envie de faire mon coming out à treize ans, puis de me défaire de ma virginité l’année suivante avant une découverte tardive du sexe en compagnie féminine. Une préférence marquée pour les hommes malgré tout, au plus grand désespoir d’un père qui, dès lors, n’a eu de cesse d’assister impuissant à la dégringolade de son fils dans son estime. ⌑ À peine diplômé et déjà enrôlé (2010). Quelques années de formation, de petites missions à même la base militaire new-yorkaise puis l’obtention d’un premier grade (lieutenant) synonyme de premiers déploiements (2013). Un parcours initiatique dans les pas de mon propre père, lui-même envoyé en Irak en son temps (2014-2017). Un second grade (Capitaine) et l’accès à de nouvelles responsabilités. La formation d’une équipe à part entière, d’une famille embarquée en Afghanistan pour une mission sur le long terme. La violence d’un terrain sous-estimé, d’une réalité qui glace le sang et hante jusqu’au plus profond de tes rêves et un traumatisme, comme ultime coup de grâce, qui mène à une démission en mai 2019 avant rapatriement en janvier 2020. Lieutenant Détective depuis 2020, en conflit avec un père qui ne m’adresse plus du tout la parole et estime qu’une pédale dans mon genre n’aura de toute manière jamais assez de cran pour avancer dans la vie.

Célibataire, adepte des relations d’un soir, d’étreintes régulières qui n’engagent rien et n’entrainent pas le moindre problème. Ce n’est pourtant pas faute de rêver à une belle histoire, mais quelque chose semble toujours me retenir de franchir un tel pas. ⌑ Solaire, malgré une stature qui inspire la méfiance de prime abord. Je ne suis pourtant qu’optimisme et joie de vivre. Accroché à la vie au point où mes proches me taquinent souvent en sous-entendant que je sors tout droit d’un dessin animé utopiste. Mon monde, il est pourtant bien plus sombre que cela. Je préfère juste me concentrer sur la lumière afin d’éviter d’être emporté par une obscurité qui fait mal. ⌑ Sportif de haut niveau, entrainement militaire oblige, je continue à énormément m’entrainer à la salle de sport, le tout en combo avec plusieurs sports de combat qui enrichissent ma pratique professionnelle. Une petite dose de natation en supplément, lorsque la musculation me sort par les yeux. ⌑ Engagé, fervent défenseur de la cause LGBT+ au point de participer à l’ensemble des événements organisés dans les environs, qu’il s’agisse d’une Pride ou d’une manifestation plus sensible. J’apporte un soutien financier, bien-sûr, mais surtout humain à plusieurs associations qui apportent leur aide à des jeunes isolés à cause de leur sexualité. Un combat que j’ai également mené à mon échelle, que je continuerais toujours à mener contre mon père. ⌑ Gourmand, ne m’offrez pas de cookies au risque d’être récompensés par une demande en mariage. La nourriture est mon pêché mignon, j’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit de mon talon d’Achille.