JIMATZ » COME OUT AND HAUNT ME.

Les doigts glissaient sur l’écran tactile et un soupir s’échappait hors de ses lèvres : elle s’en voulait, Marla, de s’être emportée de la sorte, de l’avoir envoyé balader alors qu’il cherchait seulement à savoir si elle allait bien. Les nerfs à vif, ces derniers temps, causé par les événements qui ne l’avaient pas laissé intacte. Satanées émotions dévastatrices, qu’elle peinait à contrôler. Fierté et rancune comme ennemies principales, elle s’était contentée de rester muette, de ne pas revenir s’excuser, même si les torts lui revenaient entièrement. Depuis ces nuits de violence, Marla agissait impulsivement, laissant son côté plus sombre prendre la dominante sur tout le reste. Cet aspect détesté, haï de sa personnalité, se manifestait un peu trop à son goût et la voilà, la belle, démunie face à ces sentiments néfastes, la rongeant de l’intérieur. Foutu contraste entre la facette solaire et celle obscurcie par les trop nombreuses influences. L’esprit qui réalisait peu à peu que certaines personnes usaient de son aspect simplet et naïf, même si c’était trop tard, à chaque fois. Et dans son lit, elle songeait à ce qu’elle pouvait bien faire pour s’excuser, renouer un semblant d’amitié, même si la tête brune enchaînait les erreurs de maladresse, heurtant ce cœur malmené qu’il lui avait offert sans détour, Dantae. Face à lui, une gamine imparfaite, ignorant que faire de sa vie, à tenter de survivre, allant là où le vent la portait, sans réaliser ce qu’elle laissait derrière elle. Des relations abandonnées, des liens bafoués, des rêves envolés, une stabilité oubliée. Alors, sur une impulsion, elle quittait les draps, d’où émanait une subtile odeur de linge propre, attrapant à la volée les quelques vêtements abandonnés à même le parquet. Marla, elle avait fait l’effort d’acheter de nouveaux vêtements pour une misère dans une friperie du coin, se vêtant pour les années à venir. Des jeans intacts, des chaussures offertes et des hauts pour la protéger du froid, en supplément d’une doudoune noire en polyester. Kit de survie, qu’elle aurait adoré avoir lorsque la rue lui servait d’habitation : l’impression de mourir ne l’aurait sûrement jamais atteinte ainsi protégée. Maigre rictus en laçant les converses un peu usées, jurant avec ses anciennes, bousillées de part en part. Ce n’était même pas une heure pour sortir, mais elle bravait l’appréhension pour s’aventurer là où il vivait, Dantae, les mains vides, l’éloquence comme seul remède. Le trajet écourté par un taxi sauvage, sur le point de finir son service, ne résistant pas à la risette incandescente du soleil. Staten Island sous les yeux. Un coin qui lui rappelait encore son passé : un squat par ci et par là, de bons comme de malheureux souvenirs. Fallait bien dire que cette ville abritait son lot de cauchemars, les chimères ondulant à chaque minute. Un jour, lorsque ses poches seraient pleines, elle s’en irait vers de nouveaux horizons, Marla, pour se reconstruire et laisser de côté le cocon de sa déchéance. À voir ce paysage défilé sous ses yeux, l’envie d’évasion se faisait plus grande encore, avec son air songe-creux, rêvant de repartir sillonner les routes comme elle l’avait fait, il y a quelques semaines. Une parenthèse au milieu du monde vacillant sous ses pieds, s’effritant entre ses mains fébriles. Ce fut la voix grave du conducteur qui la sortait de ses pensées, la poussant presque dehors pour rentrer tranquillement chez lui, sous les prunelles pétillantes de la poupée. Amusée, face à l’expression qu’il affichait, en allumant plus fort la musique, pour mieux déguerpir. L’avancée fut lente jusqu’à la porte d’entrée, quelques secondes d’attente, jusqu’à ce que le poing glacé toque, signalant de ce fait, son arrivée, certainement inattendue et indésirable.

(c) TORTIPOUSS.

Ce serait mentir que de dire qu’elle n’était pas stressée ni angoissée à l’idée de lui faire face. Son visage, crispé, laissait apercevoir la fatigue causée par le manque de sommeil et l’addiction, animant son cœur, glissant dans ses veines. Elle n’avait pas cherché à s’endormir, la belle, alors elle n’était pas encore secouée par le manque, l’envie d’avaler une poignée de somnifères, en espérant ne plus ouvrir les paupières. Les doigts nerveux et fébriles, elle tentait une risette face à Dantae, mais l’on voyait l’émotion dans ce sourire à peine étincelant. Elle ne savait plus où donner de la tête, comment faire pour éviter de se foutre en l’air et quelle était la méthode pour réorganiser son existence après un tel carnage. Il ne restait plus que des cendres et des débris, chez Marla. Elle, qui avançait jusqu’à l’intérieur du loft, repérant le fameux mur vierge dont il lui avait parlé, lui proposant de venir le décorer, pour se divertir, passer du temps ensemble. Ce simple détail étirait une risette attendrie, en constatant qu’il n’en avait rien fait. Qu’il avait attendu que ses petites mains d’artiste viennent égayer la toile immaculée. Désormais figée, Marla, elle se décidait à briser le silence étouffant, à s’excuser, pour renouer un semblant d’amitié, quand bien même serait-elle vacillante. « Je suis désolée. » Qu’elle ne tardait pas à dire en se tournant, encore emmitouflée dans sa couche de vêtements. Ses doigts, glissaient, pour la séparer des tissus, lentement déposés, comme s’ils étaient un bien précieux, sur la chaise proche. Ne pas suffoquer. « Je… C’est compliqué, en ce moment. » Et il dirait que c’était trop facile de mettre tout ceci sur ses problèmes, en voyant que la brune l’avait agressé pour un rien. Coupable entièrement. « Je sais que je suis responsable, Dant. » Qu’elle admettait de vive voix en s’approchant d’un pas, sans pour autant chercher à le toucher, comme elle avait pour habitude de faire. Saisir une main, prendre dans ses bras : Marla se retenait, pour éviter qu’il ne la repousse, creusant un peu plus la tombe de leur ancienne union. « Je ne savais pas que tu voulais… Renouer ? Avec moi. Je pensais que c’était juste comme ça, sur le moment. Alors, j’ai été prise au dépourvu, quand tu voulais être avec moi, là-bas. » Les mots s’emmêlaient et il lui était difficile de tout remettre en ordre quand la tête était dirigée ailleurs, sur ses propres tracas, ceux galvanisant son être, lorsque les regards s’éloignaient d’elle. « C’était débile de te piquer encore plus, je ne sais pas ce qui m’a pris. » En lui disant que beaucoup auraient voulu l’accompagner : fait réel, mais qui ne se disait pas lorsque la personne en face d’elle présentait encore des sentiments. Marla, elle l’avait bousillé, Dantae, sans le vouloir, sans le réaliser et ce n’était pas dans ses habitudes, de monter dans les tours, de se déchaîner de la sorte. « Je m’emporte facilement depuis… » Depuis ces nuits de violence, où elle avait cru mourir, une énième fois : incapable de revenir dessus et d’en ajouter plus, les larmes lui montaient aux yeux. Que c’était dur, les souvenirs.

(c) TORTIPOUSS.