MARLION » HELL OR HIGH WATER ?

L’enveloppe glissait sous les draps de soie. Contact électrisant de deux univers différents : sa peau agressée par le froid des jours passés et la douceur des tissus, effleurant son épiderme dans un contact langoureux, lascif. Ses prunelles, elles, d’un bleu océanique, s’ouvraient sur le plafond immaculé, alors qu’une risette étirait ses lèvres sèches. Un toit au-dessus de sa tête, au lieu d’une vue sur les étoiles, la voilà conquise, la jolie. L’enveloppe se tournait pour humer l’odeur fraîche de lessive, arrachant un énième sourire le long de ses pulpes. Elle flânait, dans les draps, à profiter du matelas confortable sous son dos, jurant considérablement avec le bitume sur lequel sa carcasse trouvait refuge tous les soirs depuis plus d’un an. Marla, elle avait cru mourir une énième fois, il y a une semaine. À claquer des dents, à trembler, tentant de se recroqueviller pour ne laisser aucune chaleur restante s’échapper de son corps malmené. À lutter pour ne pas s’endormir, craignant que l’on ne retrouve qu’une carcasse congelée au lendemain, sous les éclats des rayons incandescents. Contraste saisissant qui berçait son palpitant d’un sentiment si agréable, qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire à pleines dents. Ainsi, elle se levait, Marla, se dressait sur ses gambettes dénudées et disparaissait dans la salle de bain apparente à la chambre offerte par Lion. Elle ne le connaissait pas très bien, cet homme lui ayant tendu la main, mais Marla, lui était reconnaissante, de lui offrir un refuge, le temps de quelques jours. Un moment de répit pour éviter que son cœur ne cesse de battre, un soir d’hiver, où les températures frôlaient le négatif. Saison tant redoutée lorsque la voûte bleutée était le toit et les immeubles, les murs d’une demeure invisible, inexistante. Marla, elle disparaissait sous le rideau d’eau chaude, faisant naître une brume épaisse et massive autour d’elle, bénissant sa féminité délicate. L’eau chaude, elle avait oublié ce que ça faisait : les muscles détendus, la peau rougie. Trop longtemps à se laver sous l’eau de pluie, à maintenir une odeur corporelle agréable, à l’aide des quelques vols commis dans les épiceries, tandis que les commerçants lui faisaient confiance. Avenante, bavarde et attentionnée, Marla, elle n’aimait pas l’aspect plus sombre de sa personnalité, mais ne parvenait pas à la contrôler, constamment mise à rude épreuve, à la rue. Les réflexes de survie exacerbés par la crainte d’y rester, même si l’envie sommeillait en elle. À son tour de profiter de ces instants de bonheur, à tendre les mains pour laisser l’eau glisser le long de ses galbes, souriant comme s’il s’agissait du meilleur moment de sa vie. La peau soignée et bénie par un gel douche hydratant sa peau sèche, laissant une couche délicate sur son épiderme immaculé. Instant de joie, pour la belle, à s’enrouler dans une serviette maintenue chaude par le radiateur. La chevelure entourée dans une autre et des chaussons aux pieds, elle quittait finalement la pièce pour s’aventurer dans la pièce à vivre. Elle se faisait discrète, Marla, faisant bouillir de l’eau, quelques tartines grillées et son estomac, si heureux, qu’il se mettait à gargouiller. La brune avait pour habitude, autrefois, de manger pour dix, alors la simple vue d’un frigo rempli suffisait à la faire saliver, à exciter son appétit de monstre. Lion, il l’avait mis à l’aise, lui disant de faire comme si elle était chez elle : quête difficile lorsque la jolie avait oublié ce que cela faisait que de vivre dans un lieu fixe, isolé, protégé de l’extérieur. Elle ne connaissait plus que la rue, le danger et les conditions précaires, loin du confort, de l’abondance. Ainsi, Marla, elle veillait à ne pas trop perturber le cocon de Lion, remettant tout à sa place, faisant rapidement la vaisselle en restant tranquillement assise au bar de la cuisine, pour ne rien salir. L’air bienheureux, constamment rayonnante, à respirer le bonheur, Marla.

(c) TORTIPOUSS.

La tignasse finissait par s’échouer sur ses épaules dénudées, laissant la serviette sur le dossier de la chaise du bar à ses côtés. Délicate chaleur qui émanait encore des cheveux ébène, chutant sur son épiderme laiteux : quel somptueux tableau, Marla. Les traits fins, enfin apaisés, à sourire face au moindre petit détail. Un couteau à beurre au bruit du grille-pain, à l’odeur du pain grillé, remontant jusqu’à ses narines et puis ce goût délicieux, d’un repas non glacé, glissant entre ses lèvres charnues. L’air si heureux, qui était contagieux : elle donnait l’impression d’en faire trop, avec ses exclamations joviales et ses expressions bienheureuses, mais il n’en était rien. Marla, elle se laissait porter par ses sentiments, vivant pleinement le moment, à agiter ses gambettes dénudées, comme un enfant sur une balançoire. Tout allait bien pour elle, à se pavaner en simple serviette dans un appartement qui n’était pas le sien, à profiter des services que lui offrait Lion, appréciant sa solitude dans un confort dont elle rêvait depuis de longs mois. Elle ignorait, la poupée, ce qu’elle avait fait pour que l’homme s’arrête sur sa carcasse, lui tende une main, en lui proposant un toit, pour quelque temps. Un ange gardien, sûrement, qui lui donnait tout ce dont elle avait besoin : logement, affection, sensualité, conversations… Et un sentiment important de protection, à l’abri de la violence et de la mort, ici : qu’en serait-il lorsque le rêve prendrait fin ? Qu’elle chuterait à nouveau ? Admirer cette vie qui s’éloignait, dans laquelle elle n’était pas comprise. Elle préférait ne pas y penser, se vouer aux tartines suintant de bonheur entre ses doigts délicats, rapidement rejointe par Lion rentrant des courses. Une même risette incandescente habillait ses traits : Marla, elle avait une joie communicative, à sourire à pleines dents à tout le monde, pour un rien, pour un tout. Si agréable, la jolie. Essuyant ses doigts sur une serviette, elle ne perdait en rien le sourire et levait les yeux au ciel, mimant un air de réflexion, quelques secondes seulement. « Surprends-moi. » Qu’elle susurrait en se laissant approcher, enlacer : c’est qu’elle adorait, ces contacts physiques, Marla, friande de gestes en tout genre. Ainsi, ses mains rejoignaient celles de Lion autour de sa taille, effleurant son épiderme de ses phalanges chaudes. Finement vêtue, Marla : une simple serviette de bain couvrant sa nudité, les cheveux étalés sur les épaules angéliques et sa belle gueule, qui se tournait pour croiser un instant les prunelles de Lion. Tout était plus facile avec lui, rendu agréable par la gentillesse dont il faisait preuve : elle lui était reconnaissante, Marla, de la mettre si à l’aise, de la couvrir d’affection. Et elle lui rendrait au centuple sa bienveillance lorsqu’elle serait en mesure de le faire, lorsque sa croupe galbée quitterait le bitume, même si elle n’était pas des plus optimistes quant à une renaissance, la sublime. Et la voilà, à frissonner, sous le souffle régulier de Lion sur sa nuque, à lui arracher une risette attendrie. Qu’est-ce qu’elle se sentait bien.

(c) TORTIPOUSS.