One good thing about music, when it hits you, you feel no pain - ft. June Mayer-Davis

Mon cours particulier s’était terminé en avance. Enfin, en avance était un bien grand mot : il avait été tout simplement annulé, la personne étant bloquée dans les embouteillages. En plein mois de novembre, la neige tombait déjà assez dur sur New-York et paralysait le trafic. Le seul moyen de transport véritablement efficace restait le métro, mais les New-Yorkais avaient tendance à le bouder dès qu’ils pouvaient lui préférer le confort feutré d’une voiture bien chauffée.

Faute d’étudiant pour mes cours particuliers, j’attendais dans ma salle de musique, un grand verre de thé vert fumant à la main. La salle faisait une vingtaine de mètres carrés et disposait en son centre d’un piano à queue, tourné vers les fenêtres donnant sur la rue. Les grands panneaux acoustiques et le parquet donnaient une acoustique particulière à cette petite salle de musique. Le petit « bip » sur mon téléphone m’indiqua que monsieur Parra se trouvait sur le parvis de l’école. Je lui répondis rapidement, lui donnant le numéro de la salle, ainsi que l’étage pour éviter qu’il ne se perde et se fasse attaquer par des hordes de trombonistes. J’avais préalablement laissé la porte ouverte, de sorte qu’il ne se prive pas d’entrer.

Les nuits de novembre étant froides, j’avais revêtu des vêtements plus chauds qu’à l’accoutumée. Je portais une chemise en soie blanche, avec un pantalon noir serré à la taille par une ceinture large à boucle d’argent. Un ruban noir était noué autour de mon col et je portais en complément des collants pour me protéger du froid. J’avais chaussé des escarpins à talons hauts et à bouts ronds serrés par une boucle au niveau des chevilles. Maquillage léger sur les yeux et sur les lèvres, cheveux lâchés et c’est parti ! Autant paraître professionnelle pour une fois. Ces derniers temps, je passais plus de temps chez moi à écrire en pyjama qu’à correctement m’habiller. Me rendre présentable était un petit plaisir qui ne se refusait pas.

C’est alors que je le vis entrer. Je ne devais pas être bien plus âgée que lui et il ressemblait déjà plus à un adulte que la plupart de mes élèves. C’était un petit changement pour moi, mais cela valait carrément le coup. Après tout, c’était quand même plus sympa de connaître des gens de son âge pour sortir que de passer des heures à enseigner à des enfants capricieux … quoique les adultes avaient aussi leurs caprices.

Je reposais mon thé sur le sol et me levais pour le saluer poliment. Une main fut tendue en guise de salutations.

« Monsieur Parra … Bienvenu. Je suis mademoiselle Meyer-Davis, mais vous pouvez m’appeler June. Avant que nous commencions, j’ai quelques petites questions. Avez-vous déjà pratiqué le chant ? Du solfège ? Ne vous inquiétez pas, c’est juste pour avoir une petite idée de votre niveau avant de commencer. »

« Bien, donc vous avez déjà plus que des bases. Ça sera d’autant plus simple pour la suite. Je pensais que je m’adressais à un débutant mais pas du tout en fait ! »

Je lâchais un sourire amical afin de le rassurer et bus une gorgée de mon breuvage. Rien de tel pour s’échauffer la voix que de se réchauffer la gorge. Mais à peine avais-je eu le temps de le savourer que mon nouvel élève revenait à la charge avec de nouvelles questions.

« Oui, j’en joue et c’est avec ceci que je vous accompagnerai. Je suis bien incapable de tenir une guitare tout en chantant et je n’ai jamais eu l’occasion d’apprendre de cet instrument.

Mes mains soulevèrent le couvercle du piano et je me mis à pianoter quelque temps sur les touches afin de m’échauffer les articulations et adoucir quelque peu l’atmosphère.

« Comme vous avez déjà de l’expérience, je souhaiterai vous entendre. Montrez-moi de quoi vous êtes capable et je pourrai ainsi vous aider à progresser. Je vous accompagnerai ensuite au piano et sur les tonalités de votre voix afin que vous puissiez mieux la maîtriser. Mais avant tout … j’aimerai vous entendre chanter. Après tout, vous êtes là pour ça non ? »

Je ne me séparais pas de mon sourire rassurant. Il pouvait être compliqué pour un inconnu de se livrer tout de suite et de chanter à plein poumons. Je pouvais le comprendre : j’avais mis des années avant de maîtriser mon trac. Mais dans la vie, il fallait pouvoir se jeter à l’eau et vu que nous n’avions qu’une petite heure devant nous, autant faire en sorte qu’elle soit productive.

« Allez hop ! En piste ! »

C’était pas mal. Vraiment pas mal. Et c’était un euphémisme. Ce petit gars avait assez de coffre pour tenir ce genre de chanson, mais il n’y avait pas encore assez d’assurance dans sa posture pour qu’il puisse exprimer tout son potentiel. Oh bien entendu, il ne serait jamais un chanteur de haute volée, mais il y avait largement de la place pour s’améliorer et c’était quelque part très plaisant. On pouvait ressentir de la timidité dans sa voix : c’était tout à fait normal lorsque l’on cherchait encore à trouver le son de sa propre voix et que l’on n’était pas habitué à chanter devant des inconnus.

En tout cas, son cas était prometteur. Il restait toutefois pas mal de choses à corriger. A commencer par sa posture. Autant commencer par ça, c’était le plus long à travailler, mais cela donnait toujours de très bons résultats.

« Je n’en pense que du bien. Mais il y a quelques petites choses qui me gênent, à commencer par votre posture. Vous jouez trop recroquevillé sur vous-même. Essayez de vous redresser lorsque vous jouez, sinon vous allez complètement casser la colonne d’air à l’intérieur de votre corps. Si vous contrôlez mieux votre respiration, ça sera d’autant plus facile pour sortir des notes justes. Alors hop, on se redresse un peu, on cesse de se tenir comme une vieille mamie et on respire un grand coup ! »

Je lâchais un sourire pour dédramatiser la situation. S’il suivait mes conseils, je pourrai peut-être l’aider à améliorer un peu la tenue de ses notes. Pour le reste, je devrai m’en remettre à sa force de travail. Après tout, je n’allais pas chanter à sa place. Corriger sa posture allait clairement l’aider à mieux maîtriser son souffle et la manière dont il chantait.

« Allez, on essaye. Je vais jouer chaque note crescendo sur mon piano en commençant pas un do simple. Vous vous redressez, vous inspirez un bon coup, vous essayez de faire monter votre voix depuis vos entrailles et de visualiser la colonne d’air au travers de votre œsophage et ça devrait aller tout seul.

J’attendis qu’il se mette en place tandis que mes mains reprenaient place sur le piano.

« C’est parti. »

La douce tonalité d’un do se fit entendre. C’était désormais à Diego. Je me retournais vers lui et regardais la manière dont il allait se positionner.

« Rappelez-vous : le dos bien droit. On visualise la colonne d’air, et on fait monter tout doucement le son depuis ses entrailles jusqu’à ses cordes vocales. »

Je n’eus malheureusement pas le temps de le féliciter pour cette bonne tentative d’améliorer sa posture que soudain, un bruit se fit entendre dans la pièce d’à-côté. C’était d’autant plus surprenant que toutes les pièces étaient acoustiquement isolées. Ce devait être bien plus qu’un simple couac sur une clarinette ou une corde cassée. D’ailleurs, le bruit – ou plutôt le vacarme – nous fit tous les deux sursauter.

Je posais une main sur son genou gauche pour m’aider à me relever.

« Euh … tu as entendu ?

Je ne m'étais pas rendue compte que je venais de le tutoyer.

Pas très rassurée à l’idée de devoir m’aventurer dans une école désertée – les cours du soir n’étaient pas si nombreux ces temps-ci- il me fallait tout de même aller vérifier que rien de grave ne s’était produit. Cela pouvait être n’importe quoi. Imaginons qu’un élève soit coincé sous une série de caisses de batterie … ou pire … Nous n’avions entendu aucun cri venant de la pièce d’à-côté, mais on n’était jamais sûr de rien. Autant aller vérifier.

« Venez, suivez-moi. Je crois que ça vient de la salle 311. Vérifions juste qu’il n’y a personne de coincé sous un piano ou que sais-je encore ? »

J’abandonnais totalement mon piano et le cours de ma leçon. Il y avait plus urgent. Peut-être un blessé … peut être autre chose … Sortant de la salle, je découvris le couloir plongé dans la pénombre. Appuyant sur l'interrupteur, je parvins à éclairer suffisamment le couloir pour éviter de m'aventurer dans la Julliard sans rien y voir.

La salle 311 était attenante à la notre. De mémoire, elle n'avait rien d'extraordinaire, mais comprenait un petit local contenant une bonne pile d'instruments de musique. Normalement, ils étaient sous clef et aucun élève ne pouvait utiliser les instruments ou les déplacer sans ouvrir les panneaux coulissants. La première hypothèse était qu'un prof avait ouvert le débarras et avait été surpris par un équilibre précaire des instruments. La deuxième hypothèse, plus embarrassantes, était que des petits malins avaient réussi à subtiliser les clefs et fait quelques bêtises.

Quelque soit l'hypothèse, le seul moyen d'en avoir le coeur net, c'était encore d'ouvrir la porte et de constater l'ampleur du désastre. Sans attendre la moindre réaction de la part de mon compagnon, j'empoignais la poignée en aluminium de la porte d'entrée et l'entrouvrit.

« Excusez-nous ... il y a eu un bruit. Tout va bien ? »