Une mauvaise journée | Libre

Depuis quelque temps, je ne me reconnais vraiment plus. Je sais que j'ai changé par bien des côtés, je suis devenu moins naïf et heureusement, mais je sens que je suis également devenu plus sombre. Il y a eu cette dispute avec Momoka, j'ai pris conscience à ce moment-là, que je devais arrêter de me laisser marcher sur les pieds. Bien que je sois toujours ce mec gentil, j'ai cette sensation que je suis capable de me comporter de manière beaucoup plus froide et méchante maintenant. De toute manière, on ne peut pas vivre sa vie de cette manière, on doit pouvoir aussi faire preuve de dureté et je crains l'avoir compris bien trop tard. J'en ai d'autant plus pris conscience lors des obsèques de mon grand-père. Je le connaissais très mal, mais le peu que je savais de lui était que c’était un véritable roc, aux idées bien arrêtées et aux méthodes parfois douteuses et pourtant, il était respecté par énormément de monde. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé pour de bon que la noirceur avait du bon, dans certaines situations. Malgré tout, je ne voulais pas non plus renoncer à mes principes, je souhaitais rester le plus honnête possible avec moi-même. La gentillesse était toujours récompensée et la méchanceté punis. Je suis peut-être encore un peu idéaliste, mais c'est comme ça qu'on m'apprécie... En tout cas, je l'espère.

Cependant, aujourd'hui, j'avais cette sensation que je devrais me montrer bien moins gentil qu'à l'accoutumé. J'avais énormément de boulot pour Momo, puis je devais également retourner à l'ASPCA, faire un tour dans le bronx, si je ne trouvais pas de pauvre chat ou chien abandonné. C'était autant de sources de stress, qui, je le sentais allait obscurcir ma bonne humeur. Je le sentais très bien en sortant de chez moi, pour remonter une des principales artères de Manhattan pour rejoindre Rakuten US. J'ignore pourquoi, mais, bien avant que cette situation se présente à moi, je savais que j'allais finir de mauvaise humeur bien avant d'arriver au travail, ce matin. Ça ne manqua pas, quand ma mallette s'écrasa au sol, éparpillant mes dossiers un peu partout sur le trottoir, quand une personne me percuta violemment l'épaule. « Bordel ! Vous ne pouvez pas faire attention où vous marchez ? », lançais-je en me tournant vers la personne, avant de m'agenouiller pour essayer de rattraper mes papiers avant qu'ils s'envolent tous.

Un choc … et de grosses larmes de café frappé se déversèrent sur mon manteau noir, achevant définitivement de détruire cette journée qui avait mal commencé. Le café froid venait de détruire irrémédiablement l’une des plus belles pièces de ma garde-robe et de bousiller l’écran de ma tablette, qui s’écrasa sur le sol.

La colère s’empara de moi. Mon manteau était ruiné et j’allais devoir remplacer ma tablette au plus vite pour ne pas perdre de précieuses heures de travail. Par tout ce qui est saint, le coupable allait le payer très cher. Au bout de mes escarpins rouges s’étaient amoncelés des tas de papiers, restes de documents de travail s’étant déversés d’une mallette. Bien fait !

“ Mais nom de dieu, vous vous prenez pour qui ? C’est à vous de faire attention ! Raaaaaah, mais c’est pas possible d’être aussi empoté, ma parole ! “

Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai perdu mon self-control … La journée avait très mal commencé pour moi. Nous venions de perdre un deal avec un partenaire que l’on considérait à risque – c’était un client quelque peu volatil – et je devais désormais rattraper le coup en activant mes autres affaires et en accélérant les signatures de marché. Rien de terrible, mais cela avait le don de me mettre dans des états de stress que seul un bon mug de café frappé pouvait résoudre … si seulement le café en question n’était pas répandu sur mon manteau et sur le sol de Manhattan. Au vu de l'état du sol, ce dernier devait déjà en avoir vu d'autres ceci dit ...

D’instinct, je jetais à l’impudent le mug de café en carton vide à sur son crâne tandis qu’il tentait de ramasser ses feuillets. Une plaie ces New-Yorkais ! UNE PLAIE ! C'était vraiment le ponpon !

La foule autour de nous semblait nous ignorer. De toute façon, à cette heure, tout le monde était beaucoup trop pressé de vaquer à ses occupations pour porter attention à une femme qui criait sur un pauvre employé de bureau. Ces scènes étaient quotidiennes dans la Grosse Pomme.

Furieuse, je ramassais ma tablette tactile écrasée sur le sol. J’émis un cri de surprise et de douleur aussitôt l’objet dans mes mains. Je ne m’étais pas aperçue que le verre de l’écran n’avait pas tenu et venait de m’entailler le pouce et l’index gauche. Décidément, cette journée était vraiment pourrie ! Non seulement, je n'avais plus de café, mais en plus, je n'avais plus de tablette et mon beau manteau ... mon si beau manteau ... Rah !

Ce n'était décidément pas ma journée aujourd'hui. D'habitude, je suis quelqu'un de très gentil et je crois que mes collègues ne m'ont jamais vu en colère, pour le moment. Plutôt bonne pâte, je ne fais jamais de vague. Pourtant, depuis presque un mois, je ne me reconnais plus, tout semble m'énerver et j'ai un mal fou à ne pas m'en prendre aux gens, pour un oui ou pour un non. Je pense que le déclic est venu de ma dispute avec Momoka, il y a de ça presque 3 mois, depuis, tout s'est enchaîné rapidement pour moi, avec mon accident et la mort de mon grand-père. Mais ça allait encore, je pense que son décès m'a affecté plus que je ne l'aurais cru. J'ai également compris ce jour-là que je ne pouvais pas faire disparaître mon héritage aussi facilement et Samsung serait toujours présent, comme une ombre qui plane au-dessus de mon crâne. Quoi qu'il en soit, à cause de ça, j'ai la sensation de ne plus être moi-même et j'en ai encore la preuve avec cette femme qui me bouscule en plein milieu de la rue. Je m'insurge aussitôt contre elle quand je vois tous mes papiers s'envoler, des dossiers hyper importants pour la réunion de cette après-midi. Je me dépêche de les ramasser quand je l'entends s'en prendre à moi à son tour. « C'est vous qui me percutez l'épaule ! C'est vous l'empotée. », lançais-je en me redressant, alors que je tentais de ranger, en désordre, les feuilles dans mes différents dossiers, puis ensuite dans ma mallette. C'est à ce moment-là que je reçois son mug en carton sur la tête et je sens vraiment que je pourrais la frapper. Je m'approche d'elle alors que mes yeux lancent de violents éclairs. Je pense n'avoir jamais été aussi en colère de toute ma vie. Je n'ai qu'une envie, c'est détruire l'impudente devant moi. « Sérieusement ? Vous avez quel âge ? 5 ans ? Vous êtes contente, vous avez fait votre petit caca nerveux en me lançant votre mug au visage ! Bravo. », sifflais-je, sarcastique, à son attention alors que je venais poser le mug dans sa main. « Il y a une poubelle à côté. Quand on est adulte et surtout civilisé, on le jette à la poubelle. », continuais-je, en baissant mon regard sur ses fringues tâchées par le café. J'apercevais aussi, l'écran de sa tablette cassée, mais étrangement, je m'en foutais totalement, la seule chose que je voyais, c'était cette pétasse devant moi, qui avait osé me mettre en retard. « Au moins comme ça, la prochaine fois, vous ferez attention où vous marchez, ça vous évitera de vous tâcher une nouvelle fois ! », continuais-je en fermant ma mallette, tous mes papiers enfin rangés.

Me faire insulter ?! Moi ?! Alors ça c’était la meilleure. Mon sang ne fit qu’un tour et le mug en carton fit tout de suite les frais de ma colère, se faisant immédiatement broyer dans ma main.

D’un geste, j’empoignais de ma main libre l’avant-bras de l’homme qui me narguait. Mes yeux furibonds se posèrent sur lui :

“ Vous croyez vraiment que vous allez vous en tirer comme ça, espèce de rustre !? J’exige des excuses ! Et réparations pour ma tablette ! Comportez-vous en gentleman au lieu de vous conduire en bonobo ! “

Il était clair que je n’allais pas le laisser filer entre mes doigts. Contrairement à beaucoup de gens, il était hors de question que je me laisse faire. Ce n’était pas du girl-power, mais plutôt une fierté bien placée, qui m’obligeait à réclamer au moins des excuses pour cet incident. Je n’allais quand même pas m’aplatir devant un inconnu juste parce que celui-ci semblait passer une mauvaise journée.

Et en plus, le pire dans tout ça … c’est que je n’avais plus de café ! Quoi la tablette ? Oh, oui, ma tablette, d’accord … c’était embêtant … mais le café, c’est sacré.

Je ne me reconnaissais vraiment pas dans mon attitude aujourd'hui. Je n'avais jamais été agressif avec quelqu'un et encore moins je n'avais manqué de respect à des gens, même quand ils étaient en tort. Mais, depuis quelques jours, j'étouffais. Vous savez ce sentiment désagréable qui ne te lâche pas quand tu arrives pas à comprendre quelque chose. Au début, ce n'est qu'une petite gêne, tu peux le mettre de côté, mais tant que tu n'as pas trouvé une solution, ça gonfle en toi, de plus en plus jusqu'au jour où tu te sens totalement oppressé. Quand ça arrive, il ne te reste qu'un immense vide, comme si tu n'étais plus capable de faire quoique ce soit sans y penser. Puis ça t'énerve, tu commences à t'énerver sur le moindre petit désagrément. Je suis sûrement fautif dans cette affaire, mais je ne vois qu'une chose, c'est cette femme qui m'étouffe et je n'ai qu'une envie, c'est la détruire pour qu'elle s'écarte de mon chemin. Le pire, c'est qu'elle ne me laisse même pas partir, car elle m'empoigne le bras pour me déverser son lot de vomi à la figure. Je n'écoute même plus, en vérité. Je lui fais lâcher prise d'un violent geste du bras, pour m'éloigner d'elle. Mes yeux lancent des éclairs, quand ils plongent dans les siens. C'est la première fois que j'ai réellement envie de frapper une femme. Pourtant, je me retiens.

Puis, quand plusieurs images de mon poing qui s'écrase contre sa joue se succèdent dans mon esprit, je sens d'abord, une légère humidité sur mon épaule, ainsi que sur mon crâne chevelu. C'est de légère goutte de pluie qui commence à tomber. Très vite, c'est un véritable déluge qui s'abat sur nous. C'est comme si ma rage s'éteignait aussitôt sous la fraîcheur de cet orage. Je soupire, quand le premier coup de tonnerre retenti à mes oreilles. Finalement, je me détourne sans un mot pour commencer à m'éloigner. Il n'était pas question que je tombe malade juste pour ses beaux yeux. Cependant, au même moment, j'entends de léger craquement, sinistre, dans mon dos. Curieux, je me retourne et c'est là que je vois l'arbre qui se tient non loin de nous, commencer à basculer dans notre direction. Je lâche un juron en coréen et sans même réfléchir, je reviens sur mes pas et j'attrape la main de cette femme que j'insultais, il y a encore peu de temps. « Cours ! », criais-je, avant de m'élancer dans la direction opposée à l'arbre, en la tirant avec moi. J'ignorais pourquoi j'agissais ainsi, mais je le faisais. On courait de toutes nos forces loin de cet arbre en espérant avoir assez de temps pour pas qu'il tombe sur nous..