L’horizon fusant à travers les espaces laissés par les buildings, Clark observait ce magenta flamboyant, captivé par ce spectacle annonciateur d’un temps bien moins clément le lendemain. Il était presque vingt-heure et le médecin pressa le pas pour ne pas risquer d’avoir une seconde retard au rendez-vous qu’il avait lui-même fixé à Yuri Tchekov, son ancien camarade de classe et hôte qui l’hébergeait depuis le mois de janvier. Cette rencontre en dehors de l’appartement de l’acteur se dessinait sous les traits d’un repas dans un restaurant réputé et intimiste de la Grande Pomme au centre de Manhattan. La raison de ce dîner ? Le remercier, lui, cet ancien camarade de classe tyrannique qui s’était changé en un ami inébranlable au fil des mois, quelqu’un que le grand brun tenait hautement en estime. Peut-être même trop en estime… Et ce, pour son propre bien. Chassant cette idée de son esprit déjà bien trop encombré par le travail, il sortit du taxi qui l’avait conduit jusqu’au-devant de l’établissement choisi : un restaurant italien, chic mais discret.
Le grand brun ne tarda pas à voir arriver son hôte et lui adressa un sourire sincère quand il croisa son regard. Une pointe de nervosité pointa alors le bout de son nez alors qu’il lui tenait la porte pour le laisser entrer, retirant sa veste de costume bleu indigo dans le même temps.
Pourquoi es-tu nerveux, Clark ? Tu dînes avec lui depuis des mois. Il n’y a rien de différent cette fois-ci. Ne te laisse pas aller à ces suppositions qui reviennent bien trop souvent dans ton esprit, celles où vous n’êtes pas seulement des amis. Encore une fois, l’homme de science fut tenté d’écarter cette idée parasite de son esprit mais cette dernière revint en flèche à l’instant même où il croisa
son regard . Le myosotis de ses prunelles accrocha les siennes alors qu’il prenait place sur cette petite table ronde, se sentant soudainement perdu face cette certitude qui faisait peu à peu le chemin jusqu’à son cœur.
Tu l’aimes bien, Clark. Et c’est une mauvaise chose. Un serveur vint leur porter le menu et le psychiatre attendit qu’il s’éloigne pour murmurer :
« J’ai choisi ce restaurant parce qu’il est discret mais très bon. J’espère que ça te plaira. » Désignant la carte, il ajouta :
« Commande ce que tu veux, je t’invite. » Conscient que l’autre ne serait peut-être pas en accord avec cette idée, il prit les devants :
« Laisse-moi t’inviter, je n’apprécierais pas que tu ne me laisses pas au moins te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi, Yuri. » Reportant son regard sur la carte, il choisit lui-même une spécialité de lasagne au bœuf, accompagné d’épinard et il prendrait probablement une bouteille de vin rouge pour accompagner le tout. Doucement, Clark délaissa le menu pour observer son ainé, caressant son visage concentré de son regard.
Tu as remarqué que le moment où il a l'air le plus sérieux c'est lorsqu'il est question de nourriture? Bien sûr qu'il l'avait remarqué. Comme il avait également appris ce qu'il aimait manger le matin, ses routines matinales, du soir, les sujets de discussion qu'il appréciait et ceux qu'il répugnait.
Tu sais aussi que cet attachement est dangereux, Clark, que sa présence finira par te manquer quand votre colocation forcée sera révolue. Oui, il le savait, mais que pouvait-il bien y faire de toute façon ? Ils ne se verraient jamais autant qu'à cet instant et peut-être ne chercheraient-ils pas à le faire, peut-être même qu'ils finiraient par perdre peu à peu le contact jusqu'à redevenir des inconnus pour la seconde fois de leur vie. Cette perspective le peinait, réellement, lui qui avait pourtant l'habitude de ne considérer autrui qu'avec réserve, ne les laissant pas s’immiscer suffisamment pour que leur absence vienne à le toucher.
Tu t'es bien chier, sur ce coup-là. Oui... Beaucoup trop.
« Qui aurait cru qu’un jour je t’inviterai au restaurant, hein ? » demanda-t-il alors, ne quittant pas ses iris charbonnées de ce visage auquel il pensait trop souvent.
Oui, qui l’aurait cru ?
Certainement pas toi, même si ton regard s’était fait curieux lors de vos années d’école commune, tu n’aurais jamais envisagé cette issue. Clark avait voulu être son ami autrefois, puis il était devenu son souffre-douleur avant d’être son ennemi. Finalement, ils avaient fini par devenir deux amis. Deux amis qui ne se comprenaient pas toujours mais qui, d’une certaine façon, se compléter harmonieusement bien. Peut-être même trop bien… Ainsi, à force de regarder le ciel pour ignorer le reste du monde, Clark avait fini par tomber amoureux d’une étoile. Une étoile aux yeux azurés et au cœur bien trop grand, bien trop tendre, pour l’homme qu’il était devenu.
Ces sentiments dont tu commences à prendre doucement conscience ne sont pas raisonnables, pas après tout ce que tu as vécu. Pas alors que tu n’as plus rien à offrir. Une sensation de culpabilité omniprésente brûlait alors en lui, le défendant de s’attacher de nouveau à un être fait de chaire et de sang.
Mais cette flamme ravivée par ses yeux n’est-elle pas plus forte que cette culpabilité ? Non. Ou du moins pas encore. Plantant son regard abyssal dans celui de l’autre, il ajouta :
« Peut-être après tout que je crois au destin ? » Le serveur vint alors prendre leur commande et salua Clark familièrement.
« Bonjour Billy. » répliqua-t-il avec un léger sourire :
« Merci pour la table de ce soir. » L’homme blond de grande taille, aux cheveux longs et bouclés regroupés dans un épais chignon lui rendit son sourire, son regard anis se plantant dans le sien :
« Avec plaisir, tu ne me présentes pas ton ami ? » Le grand brun observa un silence quelques secondes, sondant le blond avant de désigner le russe :
« Billy, voici Yuri, un ami de longue date. » Il se tourna alors vers Yuri :
« Yuri, voici Billy, une connaissance. » Ce dernier ricana alors et marmonna :
« Une connaissance? Ahaha, t'es rude ! Alors dans ce cas là on se connait vraiment très très bien toi et moi. » Le grand brun le dévisagea suffisamment pour qu’il prenne la commande et ne demande pas son reste, laissant les deux compagnons seuls à seuls :
« Alors, comment était ta journée ? » questionna le médecin, accordant toute son attention à son ainé.